LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Julia Marois
Martin, on s’imagine que certain∙e∙s lecteurs et lectrices l’ignorent sûrement, car c’est en quelque sorte «dans une autre vie» pour toi désormais, mais avant de devenir l’une des figures emblématiques du thriller québécois, tu as exercé le métier d’avocat d’affaires durant vingt ans! À l’époque, qu’est-ce qui t’avait donné l’élan de pratiquer ce métier, et d’après toi, est-ce que cette expérience t’a donné des aptitudes pour devenir un écrivain qui a de la suite dans les idées?
«Au cégep, j’ai été happé par les mots et la poésie. Je savais déjà que je voulais écrire, mais ce n’était pas à ce moment-là un métier susceptible de me permettre de gagner ma vie. Mon meilleur ami à l’époque, mon cousin, qui est aujourd’hui juge, s’était inscrit en droit et m’avait alors convaincu que le droit menait à tout.»
«Il m’a fallu vingt ans pour publier mon premier roman. Parfois, j’ai eu l’impression de passer à côté de ma vie pendant cette période, mais je me rends compte, aujourd’hui, que le droit m’a permis de développer le coffre à outils dont je me sers chaque jour comme écrivain et scénariste: recherche, rigueur, assiduité, attention aux détails, enjeux complexes, etc.»
Bon, on ne passera pas par quatre chemins: on a dévoré les unes après les autres les enquêtes de Victor Lessard, qui ont donné lieu à d’excellents thrillers policiers, dont Violence à l’origine, Je me souviens, Ghetto X et bien plus. Et c’est sans oublier la série télé à succès sur Club Illico, scénarisée par toi et réalisée par Patrice Sauvé, avec entre autres Patrice Robitaille (Victor Lessard) et Julie Le Breton (Jacinthe Taillon). Dis-nous, aurais-tu imaginé, au moment où tu écrivais ton tout premier roman, que ton protagoniste connaîtrait ce succès, un jour?
«Jamais! Lorsque j’étais au cégep et que je rêvais d’écrire, j’imaginais publier un roman. Pour moi, c’était l’apothéose et je n’avais pas imaginé la suite. Je publie ces jours-ci mon onzième roman. Six d’entre eux composent pour l’heure la série Victor Lessard.»
«Ça me semble surréel de penser que, non seulement je suis parvenu à tailler ma place dans l’univers romanesque et télévisuel québécois, mais également que mon œuvre a été traduite et qu’elle est publiée à l’étranger.»
«Ceci dit, rien ne me touche davantage que de penser que Victor et Jacinthe sont entrés, ici, dans l’imaginaire collectif. Ça me surprend et me laisse sans mots chaque fois que j’ai le privilège de rencontrer quelqu’un qui me témoigne son attachement pour ces personnages, presque quinze ans après la parution du premier tome.»
Le 11 octobre, les Éditions Libre Expression ont fait paraître en librairie ton plus récent roman, Points de fuite T.1, le premier volet d’une nouvelle trilogie à venir. Cette fois, tu campes ton récit dans l’univers des faussaires et de la contrefaçon d’œuvres d’art en nous immergeant au cœur d’un conflit qui oppose deux familles, les Lavoie et les Lazarre, et d’une histoire de kidnapping qui entraînera de graves conséquences et d’intenses bouleversements. Pourquoi avoir choisi le milieu de l’art pour cette toute nouvelle fiction dont la couverture, soit dit en passant, est magnifique, mais bien sanglante? Et est-ce que nos lecteurs et lectrices doivent s’attendre à un récit qui ne sera pas de tout repos?
«Merci du compliment! Couverture bien sanglante? Tout est une question de perspective pour celui qui la regarde: comme le roman porte sur l’univers de la contrefaçon de tableaux, la tache sur la couverture du livre où apparaît le visage d’une jeune femme pourrait-elle n’être qu’une tache de peinture?»
«En fait, votre question dresse la table et me permet d’entrer directement au cœur du thème du roman: qu’est-ce que notre perception de la réalité et où se situe la vérité? Avec les fake news et les chambres d’écho qu’elles créent, et maintenant l’émergence de l’IA, ces questions sont résolument contemporaines, et elles nous préoccupent depuis la nuit des temps.»
«J’avais envie de les explorer dans un environnement propice à leur donner du sens, mais aussi dans un contexte moins contemporain qui me permettrait plus de recul. J’ai choisi pour ce faire les années 1990 et le milieu de l’art, où cette dualité entre vrai et faux est au cœur du travail du faussaire. J’y mets incidemment en scène le vol encore jamais élucidé du Musée des Beaux-arts de Montréal en 1972.»
«Dans Points de fuite, nous suivons Alice Lavoie, une jeune patrouilleuse dont la petite sœur, Rosalie, quatre ans, a été enlevée. Suspendue de ses fonctions pour s’en être pris aux Lazare en apprenant le kidnapping, Alice va enquêter en parallèle de ses collègues et remuer ciel et terre pour retrouver Rosalie.»
«Points de fuite est un psycho-thriller rempli de mystères, de rebondissements et d’action. Et le premier d’un triptyque. Attachez vos tuques! (rires).»
Parle-nous brièvement de Martin Michaud l’écrivain: dis-nous de quelle façon tu démarres une journée typique lorsque tu es en processus d’écriture, si tu as des rituels particuliers, tu sais, des habitudes à la Paul Sheldon dans Misery (lui, si tu te souviens bien, il fume une cigarette dès qu’il met le point final à un manuscrit), tu vois où on veut en venir? Oh, et… tu as sûrement une playlist qui t’a donné de l’énergie pour Points de fuite, non? Oui, on l’avoue, on est plutôt de nature curieuse!
«Haha. Je vois en effet que Bible urbaine a une version romancée de la vie du romancier (rires).»
«J’habite en forêt. Je sors le chien au réveil et marche quelques minutes sur mes terres, puis nous rentrons. Je me prépare alors un café et un petit déjeuner (habituellement des rôties au beurre d’arachides naturel et une banane). Sadie et moi montons ensuite dans mon bureau, où elle gagne son fauteuil préféré et moi ma chaise de travail. J’avale mon petit-déjeuner en effectuant ma revue de presse, soit la tournée des sites d’information que je fréquente, et bien sûr, je termine en lisant toutes les nouvelles concernant le CH.»
«Puis, quand j’ai fini mon café, je bascule vers le document du projet de roman ou de série que j’ai en cours, j’enfile mon casque d’écoute et je sélectionne la musique qui va m’accompagner pour ma séance d’écriture. Mes goûts musicaux sont très éclectiques: je consomme autant du rap/hip-hop que du classique, rock alternatif, indie, jazz et j’en passe, mais je ne m’étais jamais intéressé au country. En fait, pire encore, je croyais détester le country. Je me suis mis à en écouter par hasard pendant l’écriture de Points de fuite et je suis maintenant un converti.»
«J’interdis d’ailleurs à quiconque de faire un sourire en coin et de trouver ça ringard avant d’avoir écouté les Morgan Wallen, Miranda Lambert, Luke Combs, Carly Pearce et autres pointures du genre.»
Si tu avais la chance de rencontrer la star des stars du thriller policier ou du polar, pourquoi pas, qu’elle soit vivante ou décédée, qui serait-elle, et de quoi aurais-tu envie de jaser avec elle? Lâche-toi lousse, les rêves peuvent devenir réalité, tu sais? Allez, à une prochaine!
«Le scénariste et réalisateur britannique Christopher Nolan (Inception, Interstellar, Dunkirk, Oppenheimer). Je sors un peu du cadre, puisque Nolan n’a écrit et réalisé que quelques thrillers policiers (Memento, Insomnia, The Dark Knight), mais c’est ce qui fait la force de son cinéma: la grande qualité de son écriture et de ses scénarios, et surtout sa façon unique de structurer ses histoires et de raconter, presque toujours à la manière d’un psycho-thriller.»
«J’aurais envie de parler de son processus créatif et sans doute également d’un projet de série que je suis en train de développer dans le but de l’intéresser comme producteur. Ben quoi, vous disiez que les rêves peuvent devenir réalité? C’est lancé dans l’univers! (rires)»