LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Régis Mathieu
Julie, on te connaît comme poète et romancière, et il ne fait aucun doute que ton écriture est prolifique, puisque tu as déjà une quinzaine d’ouvrages – dont onze recueils de poésie – à ton actif! Peux-tu nous dire à quel moment tu as eu le déclic pour la littérature?
«Un jour, j’ai entendu le poète Claude Beausoleil dire que le goût d’écrire lui était venu de l’exclusion. Natif du quartier Saint-Henri, à Montréal, il faisait allusion à la différence de classe. Et j’ai alors réalisé que, moi aussi, c’est en quelque sorte l’exclusion qui m’a amenée à me retirer en moi-même pour écouter mes voix intérieures et plonger dans les mondes imaginaires.»
«À la préadolescence, je suis devenue assez boulotte et je n’aimais pas me mêler aux autres, préférant m’isoler des heures entières dans la lecture des romans-roses de Berthe Bernage! Déjà, je savais que je voulais écrire. Ma première petite histoire parlait d’une mignonne souris qui avait osé affronter le monde. Elle a été publiée dans Le Soleil. La route était tracée…»
«Par la suite, j’ai lu Antoine de Saint-Exupéry et plusieurs auteurs mystiques comme Georges Bernanos, Léon Bloy, Pierre Teilhard de Chardin, ou encore Jacques et Raïssa Maritain. Je n’avais pas 15 ans! Je n’y comprenais rien, sinon une sorte d’élévation. À mon insu, ces lectures ont nourri ma quête de poésie.»
En 2020, tu as été lauréate du Prix littéraire des Écrivains francophones d’Amérique pour ton recueil de poésie intitulé L’ultime lettre d’amour. Comment as-tu accueilli la nouvelle, et qu’est-ce que cela fait de voir ses créations ainsi récompensées?
«Une belle surprise! Et je suis très reconnaissante envers les Écrits des Forges d’avoir soumis mon livre. Cet honneur est un encouragement et donne foi dans ma poursuite de l’écriture, car je me demande toujours si mon propos, mon émotion et les mots pour les traduire rejoindront les lecteurs et les lectrices.»
«Le fait de voir L’ultime lettre d’amour mis ainsi en valeur m’a profondément émue, parce que son origine est liée à la mort annoncée de mon grand amour, tout en demeurant lumineux. Aussi, constater que les membres du jury ont apprécié mon incursion au sein d’un univers onirique traversé par les figures d’Héloïse et d’Abélard, de Tristan et Iseult, ces amants célèbres et célébrés, a ajouté à la joie; cette partie du livre ayant nécessité une vaste recherche.»
«Cette reconnaissance de mon travail et l’envoûtement, peut-être, qu’ont provoqué mes personnages, m’ont également touchée.»
En mai dernier, ton plus récent recueil Nos lendemains de feu est paru aux Écrits des Forges. Au fil des pages, tu «explore[s] la beauté de notre planète et dresse[s] le désolant constat de ce qui disparaît». Qu’est-ce qui t’a donné envie d’explorer ce sujet en particulier, et où as-tu puisé ton inspiration pour l’écriture de ces poèmes?
«Comme je le mentionne à la fin du livre, ce projet a commencé à germer au mois d’août 2018 devant un dernier coucher de soleil à l’Isle-aux-Grues, qui fut pour moi un lieu d’inspiration pendant de nombreuses années. Ce qui a alors émergé n’a cessé de m’habiter, de me hanter, de me propulser au cœur d’une réflexion dont je ne soupçonnais pas qu’elle soit à ce point prégnante, moi qui ai vécu la majeure partie de mon existence où la pérennité de la Terre était un postulat.»
«J’ai donc conçu le projet d’écrire une suite poétique dans laquelle la narratrice se convoque au banc des accusés face à la Terre qui plie les genoux, dénonçant son massacre, s’attristant des pertes, regrettant cette beauté avec laquelle elle avait cheminé pendant sa jeunesse.»
«J’ai donc divisé mon livre en deux parties. D’abord, Les Paradis perdus, où la narratrice voyage entre le profane et le sacré. Puis, Résistants de l’ombre, où, avec le “nous” de la rébellion, je donne la parole aux jeunes générations revendiquant dans leur propre vocabulaire un monde meilleur.»
Selon toi, que ce soit du point de vue du ton adopté, du style d’écriture choisi ou encore des images évoquées, qu’est-ce qui distingue le plus Nos lendemains de feu de tes précédentes publications? On aimerait savoir si tu as senti un changement ou une évolution en particulier dans ta façon de créer.
«C’est justement le fait d’avoir donné la parole aux jeunes générations en utilisant une tout autre façon d’écrire, c’est-à-dire un texte sans ponctuation. Cela lui confère un ton incisif et haletant avec un rythme et une force de frappe qui, je l’espère, vont rejoindre mon lectorat.»
«J’aimerais bien que des jeunes, oui, lisent ce texte! Ici aussi, j’ai effectué de nombreuses recherches pour arriver le plus près possible à exprimer leurs colères, leurs angoisses et leurs espérances, leur regard sur le monde. J’ai trouvé cette façon d’écrire plutôt emballante dans le sens que chaque mot doit amener l’autre sans qu’on ait à s’interroger.»
«Et puis, j’ai eu du plaisir à me mettre en bouche, si je puis dire, ce vocabulaire échevelé! Ceci dit, j’aime beaucoup aussi la première partie où celles et ceux qui suivent mon œuvre vont se reconnaître et me reconnaître à travers mon indignation. Elle était déjà prégnante dans mon livre coup de poing Parfaitement le chaos!»
As-tu déjà une thématique et/ou de premières inspirations en tête pour ton prochain livre et, si oui, quels sont-ils?
«Déjà, oui. Avant de mourir, mon amoureux, qui m’a toujours encouragée dans la poursuite de mon écriture, a formulé le souhait que j’écrive quelque chose sur nous. J’ai promis. À travers la douleur, ce vœu m’habitait constamment, et j’étais quelque peu désemparée, ne sachant pas quelle forme je pourrais donner à ce texte.»
«J’ai d’abord pensé à un récit, puis j’ai écarté l’idée, car j’avais peur de tomber dans des lieux communs. J’ai opté pour la poésie. Un jour, le titre a surgi comme une flamme. Je ne veux pas le dévoiler maintenant, mais simplement dire qu’il comporte douze mots.»
«Il y a longtemps que je caressais l’idée d’un long titre. J’ai alors commencé l’écriture en expérimentant pendant plusieurs semaines le ton que je voulais donner à mon propos et comment formuler mes idées. C’est toujours long avant de trouver réponse à ses questions. Bon, là, c’est démarré. Mais j’ai mis ce projet sur la glace pour le moment, afin d’accompagner la sortie de Nos lendemains de feu.»