LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Caroline Arbour
Jacqueline, dis-nous tout! Quand as-tu eu la piqûre pour l’écriture, et comment as-tu entretenu cette passion jusqu’à la parution de ton premier roman?
«Adolescente, j’écrivais des histoires et mon plus grand rêve était de devenir écrivaine. À 17 ans, j’ai publié une nouvelle dans un recueil collectif de mon école secondaire. Les enseignants m’ont alors encouragée à rédiger des romans. J’ai donc poursuivi mes études en littérature française et en journalisme à l’université.»
«Ma carrière de journaliste a par la suite occupé tout mon temps. Ce n’est qu’une fois en Colombie-Britannique, en poste à Radio-Canada Vancouver, que j’ai enfin pu me consacrer à la rédaction de mon premier roman, Terreur dans le Downtown Eastside, suivi d’une nouvelle dans le recueil Crimes à la Bibliothèque, et enfin le roman Détresse au Crépuscule qui est paru ces jours-ci.»
«Je crois que, si mes racines québécoises m’ont préparée à l’écriture, c’est ma province d’adoption qui m’aura offert un terreau fertile pour faire mes premiers pas comme écrivaine. En effet, entre mes premiers essais d’écriture de l’adolescence et la parution de mon premier roman, il s’est passé plusieurs années qui ont permis à ma passion de s’enrichir de tous mes reportages; autant de petites histoires qui me permettaient d’améliorer mon style et la maîtrise de la langue française. La côte ouest aura réveillé mon imaginaire. Je sais maintenant qu’une romancière se construit par ses expériences et l’observation de son environnement. Mais c’est le temps et la maturité qui façonnent le tout.»
Par ailleurs, tu as longtemps été réalisatrice et chef d’antenne au Téléjournal Colombie-Britannique de Radio-Canada. Qu’est-ce qui t’a motivée à te lancer professionnellement dans ce secteur d’activités, et en quoi cela a-t-il pu nourrir l’écriture de la série Le cri du West Coast Express?
«À l’âge de 7 ans, j’ai décidé de devenir journaliste. Une carrière toute tracée pour moi. Une passion. Je voulais expérimenter toutes les formes de journalisme. C’est la chaîne TVA qui m’a démontré en premier sa confiance en m’offrant un poste de chef d’antenne à Saguenay, alors que je n’avais que 25 ans. C’est là que j’ai développé mes compétences avec les enregistrements en direct et les reportages télévisés. Quelques années plus tard, j’étais journaliste multiplateformes (télé, radio, web et médias sociaux) à Radio-Canada Vancouver, pour ensuite devenir chef d’antenne au Téléjournal Colombie-Britannique.»
«J’avais ainsi une vision globale des problèmes sociaux qui touchent en particulier les personnes vulnérables. Pas une semaine ne passait sans que nous parlions du manque de logements et des sans-abri, de la toxicomanie, des morts par surdose, de la prostitution, des membres de gang et de la violence. Ma série Le cri du West Coast Express m’a été inspirée à la fois par les nouvelles que je traitais, et surtout par mes visites dans le quartier Downtown Eastside, mes discussions avec les intervenants du quartier et les résidents, mes interactions avec la police de Vancouver et la GRC, et ma connaissance de la région vancouvéroise.»
«On ne peut demeurer insensible à la détresse et j’avais beaucoup d’empathie pour les femmes qui survivent dans ces conditions inhumaines. Ma série est née de mon regard sur ce monde tourmenté.»
Au mois d’août, ton livre Détresse au crépuscule est paru aux Éditions David. Il s’agit du deuxième volet de la série Le cri du West Coast Express, succédant à ton premier roman Terreur dans le Downtown Eastside. Peux-tu nous en dire plus sur l’intrigue ainsi que sur les personnages qui peuplent ton imaginaire?
«Cette série, Le cri du West Coast Express, c’est l’histoire de la détresse à l’état pur qui sévit dans la région vancouvéroise, sous les allées et venues du train de banlieue, le West Coast Express, qui fait résonner sa sirène sur la voie ferrée, de Mission à Vancouver, le long du fleuve Fraser.»
«La détresse se vit partout dans la région, avec un marché du logement hors de prix, les sans-abri qui se multiplient dans des villages de tentes improvisés, les gangs criminalisés qui se battent pour le marché lucratif de la drogue, les toxicomanes qui jouent à la roulette russe – avec la surdose au fentanyl qui les guette –, les prostituées qui survivent dans des conditions misérables et les prédateurs qui les attendent au coin des rues. Mais il y a aussi ces intervenants qui se dévouent dans le quartier Downtown Eastside et ces policiers qui tentent d’adoucir la vie des résidents. Au centre de mon polar se cache un tueur en série qui attaque les femmes vulnérables.»
«La GRC et la police de Vancouver organisent une chasse à l’homme pour mettre la main sur ce prédateur insaisissable avant qu’il ne fasse d’autres victimes. Une équipe d’enquêteurs multiplie leurs interventions sur le terrain, dirigeant ainsi les projecteurs sur la misère des oubliés de la société. Raymond le sans-abri, Inga la prostituée, Sylvia la toxicomane sont autant de visages de la détresse urbaine, plus souvent ignorée que dénoncée.»
Pour bien retranscrire la vie des toxicomanes, revendeurs, sans-abri, prostituées et bons samaritains du quartier Downtown Eastside en région vancouvéroise, tu t’es imprégnée de leur quotidien en allant t’immerger dans leur réalité, directement sur le terrain. Peux-tu nous parler de ton expérience dans un environnement aussi difficile qu’impitoyable?
«J’ai eu à la fois des expériences effrayantes et des rencontres très inspirantes dans ce quartier. Je me souviens de reportages en direct à la télé dans le quartier Downtown Eastside au cours desquels ma sécurité était menacée. Une fois, un homme nous lançait des objets pendant que mon caméraman et moi tentions de faire notre travail. Une autre fois, un homme m’a serré la gorge avec ses mains, comme pour m’étouffer, en hurlant, alors que j’étais en direct devant la caméra. Mais la plupart du temps, ce genre d’incident n’arrive pas. Les sans-abri, toxicomanes, prostituées avec qui je discutais étaient heureux de partager leur expérience avec moi.»
«Je me souviens de cet ancien consommateur de crack, un québécois d’origine, très fier d’avoir réussi sa cure de désintoxication et heureux d’avoir obtenu une chambre bien à lui dans un hôtel résidentiel, après avoir vécu dans la rue pendant des années. Il portait pour la première fois des vêtements neufs et nous avait confié sa joie, tout en lissant continuellement sa chemise sur son pantalon, avec l’air de ne pas y croire. J’étais très émue. Cet homme m’a inspiré Raymond dans ma série. Et aussi ce toxicomane qui avait accepté de répondre à mes questions d’entrevue, en insistant pour que je ne donne pas son vrai nom, car il ne voulait pas faire pleurer sa mère, au Québec, qui ne savait rien de sa vie de misère.»
Si tu avais carte blanche et que tout était possible, quel.le auteur.e aimerais-tu inviter chez toi pour un souper animé, et de quoi parleriez-vous?
«J’aurais besoin d’une machine à remonter le temps. J’aurais aimé rencontrer Edgar Allan Poe, Agatha Christie et Mary Higgins Clark de leur vivant. Edgar Allan Poe, pour sa maîtrise inimitable du macabre et de l’horreur qui m’a fait une très forte impression pendant mes études universitaires. Agatha Christie, pour parler de sa carrière prolifique, avec 66 romans policiers et 14 nouvelles! Enfin, Mary Higgins Clark, dont pratiquement tous les romans sont devenus des bestsellers! Le sujet de nos discussions serait très certainement sur les techniques d’écriture qu’ils ont utilisées pour créer ces ambiances inquiétantes de mystère et de course contre la montre dans leurs polars, et celles insoutenables de l’horreur et de l’indicible.»