LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Philippe Enguehard
Françoise, quel plaisir de faire votre connaissance! Vous qui cumulez les chapeaux d’auteure, de journaliste et de traductrice, on est curieux de savoir: d’où vous est venue la piqûre pour l’écriture?
«Cette piqûre m’est venue très tôt, vers 11 ou 12 ans. Il faut dire que je viens d’une famille d’institutrices: ma grand-mère et ma mère encourageaient la lecture, le goût des mots justes et bien choisis, d’une langue riche et bien parlée. Je me suis très vite mise à écrire un journal intime, puis des histoires courtes, tout en nourrissant le rêve d’être publiée, un jour!»
«Les mots couchés sur le papier m’ont beaucoup aidée à traverser une adolescence un peu difficile. J’avais deux ans d’avance à l’école – ce qui n’est pas facile à vivre! – et j’étais angoissée de nature. J’ai énormément lu durant ma jeunesse, ce qui m’a aussi beaucoup aidé dans l’écriture.»
On a pu lire que vous «puise[z] [votre] inspiration dans l’océan qui [vous] entoure et dans [vos] diverses racines, françaises, acadiennes et irlandaises.» Comment ces éléments nourrissent-ils votre plume, vos créations et les univers que vous dépeignez?
«La question de l’identité me passionne et sous-tend tout ce que j’ai écrit jusqu’à maintenant. C’est logique, puisque mon identité est multiple – c’est le cas de la majorité d’entre nous d’ailleurs – et que j’ai quitté le pays de ma naissance pour fonder un chez moi à Terre-Neuve.»
«Je suis aussi passée de la France à l’Amérique du Nord à une province anglophone – Terre-Neuve-et-Labrador – et à une région Atlantique dans laquelle je m’identifie comme Acadienne. Je m’interroge donc souvent sur ce qu’est l’appartenance quand on a quitté une vie pour une autre.
«Quant à l’océan, je ne peux pas m’en passer. La mer, ses humeurs changeantes, ses couleurs, ses colères, ses vagues et ses embruns balisent toute mon existence. On peut dire que la mer est mon patrimoine originel.»
Ce mois-ci, votre roman historique Le maître de Conche est paru aux Éditions Prise de parole. Au fil des pages, vous brossez un «portrait vivant des hauts et des bas d’une jeune colonie» de Terre-Neuve au début du XIXe siècle, où les divisions entre catholiques et protestants demeurent, et ce, malgré la volonté de James Dower de «fonder une communauté où l’égalité et la tolérance sont les mots d’ordre». Qu’est-ce qui vous a donné envie de revenir sur cet épisode propre à l’histoire de Terre-Neuve et de ses habitants?
«Le point de départ du roman est une histoire qui m’a été confiée par les habitants de Conche. Je dis «confiée», parce que c’est vraiment ça: on m’a donné quelques documents anciens en me disant: “Ça ferait un beau roman”. Comment refuser un tel cadeau?»
«La petite communauté de Conche est, par ailleurs, très attachante. Il y règne une détermination, une audace et une bienveillance palpables. J’ai donc voulu parler de l’histoire de ce lieu que les Français ont baptisé Conche au XVIIe siècle (sinon avant!) et qui, aujourd’hui encore, malgré le moratoire à la pêche à la morue, vit de la mer.»
«Enfin, l’histoire française de cette région est fascinante et méconnue. Les pêcheurs bretons ont nommé la région le Petit Nord. Ils y ont suivi la morue aux alentours de 1504 et sont partis en 1904. Ça mérite d’être raconté, tout de même!»
Et alors, sur quelles sources (documents d’archives, articles de journaux, etc.) vous êtes-vous basée pour dépeindre avec le plus d’exactitude possible les faits, ainsi que l’ambiance qui régnait à cette époque dans le Petit Nord de Terre-Neuve?
«Je me suis basée bien entendu sur les documents qu’on m’avait donnés à Conche. Pour le reste, je suis familière avec l’histoire de la présence française dans ma province.»
«Je ne suis pas historienne, mais je m’intéresse à la question depuis le début des années 2000, et j’ai beaucoup lu de récits tant français qu’anglais sur la vie dans cette région.»
«Enfin, pour ce qui est de la navigation, je me suis appuyée sur une merveilleuse source, Instructions nautiques, relatives aux cartes et plans du pilote de Terre-Neuve, publiée en France en 1784 pour aider les navigateurs. J’ai le bonheur d’en avoir un exemplaire original; c’est une source incroyable de détails sur les côtes de Terre-Neuve, les établissements de pêche, les marées, les fonds marins. Je ne me lasse pas de le consulter.»
À plus ou moins long terme, quels sont vos prochains projets en lien avec votre passion pour la langue française et/ou l’écriture?
«J’ai un autre manuscrit dans mes cartons – mes souvenirs d’enfance à Saint-Pierre et Miquelon – et puis, c’est toujours le cas quand je finis un roman, un nouveau personnage a élu domicile dans un recoin de mon cerveau et commence à s’imposer. Je ne sais pas trop ce que je vais en faire encore.»
«Pour le moment, je vais essayer de mener Le maître de Conche à bon port, pour utiliser une expérience marine. Parler de mon île, de son histoire, de mes personnages, je trouve ça très plaisant.»