LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Mathieu Girard
Claire, on est très heureux d’avoir la chance de discuter avec vous! Vous avez grandi en Ontario, dans le canton de Glengarry, oscillant entre deux langues et deux cultures, et ce, tout au long de votre enfance. Par la suite, vous avez résidé à Sturgeon Falls, dans le nord de l’Ontario, puis à Ottawa, où vous vivez actuellement. Parlez-nous de cet attachement à la langue française qui fait de vous la fière Franco-Ontarienne que vous êtes aujourd’hui!
«J’ai grandi en français à la maison et fréquenté l’école Saint-Joseph du village de Lancaster. Ensuite, l’Académie Saint-Michel de Cornwall. Les religieuses m’ont donné une base solide jusqu’à l’âge de 16 ans. À la maison, ma mère nous reprenait quand nous faisions des fautes.»
«Toute ma parenté vivait dans la province de Québec et je les voyais durant l’été et aux Jours de l’An à Saint-Polycarpe, village de mes ancêtres. Je me sentais tout aussi francophone que mes cousins québécois, mais j’avais un petit avantage, selon eux, car je pouvais communiquer très bien en anglais aussi. Mon installation comme enseignante de français à Sturgeon Falls m’a rendue encore plus fière d’être francophone et plus convaincue de l’importance de notre langue et culture.»
«C’est pendant la grève pour l’obtention d’une école secondaire de langue française que toute la communauté est montée aux barricades, preuve de son attachement à son identité franco-ontarienne.»
En 2019, vous avez fait paraître votre premier roman, Raoul, tu me caches quelque chose, aux Éditions Prise de parole. Cette œuvre de fiction, campée durant la Première Guerre mondiale, nous fait découvrir Raoul Denonville, un homme pour le moins discret, qui va trouver refuge dans une forêt du Moyen-Nord ontarien, la tête pleine d’un secret inavoué. D’où vous vient cette passion pour la vie dans les villages francophones de l’Ontario, et pour l’Histoire avec un grand H?
«Permettez-moi de corriger l’impression que Raoul, tu me caches quelque chose pourrait être une œuvre de fiction!»
«Bien au contraire, c’est une histoire vraie! C’est un roman historique. Raoul Denonville a bel et bien vécu à River Valley pendant plus de 50 ans. Tous les autres personnages qui figurent dans ce roman sont de vraies personnes qui l’ont côtoyé. La plupart d’entre elles sont les personnes-ressources à qui j’ai fait appel pour connaître la vie de Raoul, au jour le jour et à travers les années.»
«Je raconte aussi comment les gens d’un petit village francophone étaient tissés serrés. Ils se connaissaient, croit-on, et il pouvait y avoir de la médisance. Mais dans ce village, Raoul a pu faire son chemin tout en cachant son identité véritable jusqu’à la fin de sa vie grâce au respect qui lui a été accordé par le prêtre, le médecin et les gens bien ordinaires.»
Le 3 septembre, c’est au tour des Éditions David de publier votre deuxième roman, Un lourd prix à payer, un livre qui transporte les lecteurs et les lectrices à la fin des années 1950, quelque temps après la fin de la Seconde Guerre mondiale. On y suit Frans et Hannah Dykstra, ainsi que leurs enfants Margriet, Pieter et leur bébé Adriaan, une famille néerlandaise qui se rend au Canada pour s’établir sur une ferme de l’Est ontarien, dans l’espoir d’y trouver une vie meilleure et de réaliser un rêve qu’elle caressait depuis longtemps. Or, un drame inattendu survient, en septembre 1959, et chamboule tous leurs plans. Une enquête policière se met alors en branle… Parlez-nous brièvement de ce roman réaliste qui adopte peu à peu l’allure d’un thriller à fond de train.
«C’est un honneur, pour moi, de publier mon deuxième roman aux Éditions David!»
«L’histoire se déroule dans le canton de Glengarry, d’une part, aux Pays-Bas, d’autre part. Nous sommes en 1956 quand tout commence. Les retours en arrière nous font revivre des moments de la Seconde Guerre mondiale. À la fin du roman, nous sommes en 2005. Deux petits villages servent de décor à l’action et ils sont décrits avec exactitude.»
«Plusieurs évènements reliés à la guerre sont relatés tels qu’ils ont été vécus. Mais l’histoire que je raconte dans ce roman est fictive, tout comme le sont les personnages. Cela me donne l’espace nécessaire pour explorer les comportements humains. Je peux ainsi prêter des intentions à mes personnages et entrer dans leurs pensées les plus secrètes.»
«Une disparition, un mensonge, et voilà que plusieurs vies sont touchées. Une enquête se met en marche et on tente d’éclaircir la situation avec urgence. Plus rien ne sera jamais pareil pour tous ceux et toutes celles qui se retrouvent au cœur de la tourmente…»
Au fil des pages, on y découvre le quotidien d’un petit village à l’instar de Lancaster, celui où vous avez grandi, mais aussi des thématiques fortes qui ont visiblement touché une corde sensible chez vous, notamment les défis de l’immigration, l’isolement, le mal du pays et les préjugés, qui ne datent pas d’hier malheureusement. Qu’est-ce qui vous a donné l’élan d’aborder ces thèmes à l’écrit?
«L’immigration est l’un des thèmes effectivement. Dans Glengarry, plusieurs familles sont venues des Pays-Bas après la Seconde Guerre mondiale et ils ont réussi à prendre racine chez nous. Mais que savions-nous d’eux? J’ai voulu apprendre à mieux les connaître.»
«J’étais intéressée également à observer les réactions des miens face à ces nouveaux arrivants. À la fin des années 1950, le rôle des femmes et des filles était en évolution. C’est mon deuxième thème. Une émancipation approchait, à la veille des années 1960. Comment cela allait-il se jouer dans une famille aux valeurs traditionnelles?»
«Et finalement, le thème de la déception, du mensonge, et des conséquences lourdes qui en découlent. C’est ce qui arrive quand tout le monde s’en mêle et qu’une situation pas facile devient dramatique. Combien de gens ont dû payer un lourd prix dans toute cette histoire? Y en a-t-il d’autres qui n’ont jamais payé pour leur part dans ce drame?»
Du tac au tac, si on vous demandait quelles sont vos influences majeures en matière d’écriture, quels noms d’auteurs, franco-ontariens ou non, vous viennent en tête?
«Ouf! J’ai accroché au roman Agaguk à la fin de mes années au secondaire. Ce fut une révélation pour moi. Cette œuvre parlait de mon pays, de la vie dure en pleine nature, et des décisions de vie ou de mort — tout cela dans une langue qui venait d’ici, dans ma langue.»
«Par la suite, j’ai lu plusieurs romans d’Yves Thériault, toujours avec grand intérêt. Quand Jean Marc Dalpé a publié Les murs de nos villages en septembre 1983, cela m’a fait vibrer. Je me suis empressée de recevoir cet artiste à l’école secondaire Franco-Cité de Sturgeon Falls pour que les élèves le rencontrent et sachent que la poésie pouvait parler d’eux, dans leurs mots. J’ai également bien apprécié le roman La sultane dévoilée de Jean Mohsen Fahmy (2019) pour son art d’écrire et pour la découverte de ce monde mystérieux.»
«Je lis en anglais aussi et mon autrice préférée est Arundhati Roy. Son premier roman, The God of Small Things, publié en 1997, gagnant du Booker Prize, est mon préféré. Ses thèmes, ses personnages et sa façon d’écrire m’inspirent beaucoup. Ses descriptions s’apparentent à de la fine dentelle, et sa compréhension de la nature humaine est absolument remarquable.»
«En espagnol, j’apprécie particulièrement les œuvres de Gabriel García Márquez!»