LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Julie Artacho
Bernard, vous êtes nutritionniste, conférencier et auteur, en plus d’être co-animateur du balado On s’appelle et on déjeune sur l’application OHdio de Radio-Canada et d’être chroniqueur pour l’émission Moi j’mange à Télé-Québec. D’où vous est venue la piqûre pour la nutrition et la vulgarisation scientifique de concepts touchant à l’alimentation?
«Je suis entré en nutrition à l’université sur un coup de tête. J’avais eu un cours sur les “saines habitudes de vie” au cégep et c’était le domaine de l’alimentation qui avait le plus capté mon attention.»
«En terminant mes études, j’ai commencé à travailler en vulgarisation scientifique dans un groupe de recherche à l’Université de Montréal qui s’appelait Extenso. J’y ai fait mes premières armes en communication et j’y ai découvert une passion. Surtout, j’ai réalisé que les gens étaient vraiment perdus parce qu’ils étaient ensevelis d’informations venant de toute part et que c’était un besoin criant de les aider à se faire une tête.»
«Une de mes missions est de faire réaliser aux gens que manger n’a pas à être aussi compliqué qu’on nous le dit. J’essaie d’éliminer toute la culpabilité et l’anxiété qui sont associées à l’acte alimentaire.»
On a pu lire que «les sujets qui [vous] intéressent le plus sont l’alimentation durable, l’agriculture urbaine, le marketing alimentaire, l’environnement et les comportements alimentaires», thématiques que l’on retrouve d’ailleurs dans vos deux premiers livres Sauver la planète une bouchée à la fois (2015) et N’avalez pas tout ce qu’on vous dit (2018). En quoi ces sujets vous rejoignent-ils particulièrement, et qu’est-ce qui vous a motivé à prendre votre plume pour partager vos connaissances au grand public?
«Je suis quelqu’un de curieux de nature. Je crois que j’aurais pu me plaire dans beaucoup de domaines scientifiques, puisque c’est ma curiosité qui alimente ma passion.»
«La plupart de mes projets démarrent par des questions que je me pose, mais auxquelles je n’arrive pas à trouver une réponse rapidement. Je suis heureux d’être “tombé” dans le domaine de la nutrition, parce que c’est une science qui touche le quotidien des gens de façon très intime, mais ça va bien au-delà, puisque les aliments sont liés à nous par la culture.»
«Mes projets intègrent donc souvent de nombreux aspects de l’alimentation, parce que je sens le besoin de comprendre (et d’expliquer) cet acte central de façon globale. Je crois que c’est un atout pour la vulgarisation, puisqu’en abordant plusieurs angles, on peut toucher plus de gens avec nos messages.»
Le 13 octobre, votre troisième ouvrage À la défense de la biodiversité: sur la trace des aliments perdus est paru aux Éditions La Presse. Au fil des pages, vous revenez sur «cinq grands moments de l’histoire de l’humanité au cours desquels la diversité alimentaire a été mise en péril», en plus de sensibiliser les lecteurs à l’importance de conserver et même d’«accroître le nombre d’espèces et de variétés animales ou végétales nécessaires à l’alimentation». Comment en êtes-vous venu à vous pencher sur la question de la biodiversité alimentaire , et en quoi celle-ci vous paraît-elle plus importante que jamais à préserver en 2022?
«Comme nutritionniste, un des conseils que je répète le plus souvent est de manger le plus diversifié possible. C’est un des concepts fondamentaux de la saine alimentation. Pour manger diversifié, nous avons besoin de la biodiversité alimentaire, c’est-à-dire des plantes et des animaux qui contribuent à notre alimentation. Cela comprend autant ceux que nous mangeons directement que ceux qui sont essentiels à la production alimentaire, comme les abeilles qui pollinisent les champs.»
«Quand on entre dans un supermarché, on a l’impression d’avoir accès une immense diversité alimentaire. Et c’est vrai quand on est dans un pays riche et qu’on a les moyens de se payer cette diversité. Mais derrière cette abondance, il se cache un phénomène inverse, soit celui de l’effritement de la biodiversité alimentaire mondialement.»
«Aujourd’hui, on estime que seulement neuf plantes représentent les deux tiers de la production alimentaire mondiale et que cinq animaux fournissent à peu près l’entièreté de la viande, du lait et des oeufs. J’ai voulu comprendre pourquoi.»
«Préserver cette biodiversité est essentiel, parce qu’elle permet à nos champs d’être plus résilients face aux changements climatiques, aux insectes ravageurs et aux maladies, mais aussi parce qu’elle est essentielle à une saine alimentation. Si on veut que les prochaines générations aient accès à ces aliments, on doit les préserver dès maintenant.»
Comment, selon vous, peut-on contribuer à maximiser la richesse de la biodiversité alimentaire actuelle? On serait aussi curieux de savoir quels sont les défis que nous pourrions avoir à rencontrer à court ou moyen terme pour préserver celle-ci!
«C’est sûr que comme consommateurs, on a une part de responsabilités. Comme l’agriculture est une des principales causes de la perte de biodiversité, la première chose qu’on peut faire, c’est de diminuer notre demande en ressources à travers l’alimentation. Pour ce faire, les deux gestes les plus puissants sont de diminuer notre consommation de viande et de limiter le gaspillage alimentaire.»
«Plusieurs variétés de fruits et de légumes ont été délaissés dans les dernières décennies, parce qu’elles ne répondaient plus aux besoin de l’industrie agroalimentaire. L’une des seules façon de les goûter aujourd’hui, c’est de se tourner vers les semenciers artisanaux qui les préservent. Leur travail est essentiel, mais on a aussi besoin de gens qui les cultivent chez eux pour que ces variétés survivent.»
«Aussi, je pense que les gouvernements ont un rôle à jouer. Aujourd’hui, environ 50% des calories consommées au Canada proviennent des aliments ultra-transformés, qui sont composés d’une poignée d’espèces comme le blé, le maïs, le soya, le canola et la canne à sucre… Or, ce sont généralement les gens qui ont le moins d’argent qui se tournent vers eux.»
«Assurer un accès équitable à une diversité d’aliments frais est un devoir des gouvernements, à mon avis. Et avec le taux d’insécurité alimentaire qui grimpe, je ne considère pas qu’ils font leur travail adéquatement.»
Et alors, quels sont vos prochains projets en lien avec votre passion pour la nutrition? Peut-être pourriez-vous nous donner un avant-goût des sujets sur lesquels vous comptez vous attarder…
«Les sujets qui m’intéressent sont très éclectiques. Deux fois par mois, sur la plateforme Ohdio de Radio-Canada, je publie des épisodes de mon balado On s’appelle et on déjeune, que je co-anime avec Catherine Lefebvre. Nous avons la prétention (un peu à la blague) de pouvoir expliquer les sociétés, l’histoire, la politique et la santé à travers l’alimentation.»
«Nous allons bientôt fêter nos trois ans et plus de 80 épisodes! On a encore des tonnes de sujets en banque qui ne risquent pas de s’épuiser. On peut autant aborder les enjeux de racisme en lien avec le guide alimentaire canadien, les expériences nutritionnelles glauques ou même tenter de comprendre comment sont fabriquées les saveurs artificielles que de se poser des questions niaiseuses comme “C’est quoi un sandwich?”»
«Bref, je vous conseille de les écouter pour ceux qui veulent en savoir plus sur mes intérêts variés!»