Le roman graphique «Mon ami Bao» de Stéphane Lafleur et Katty Maurey – Bible urbaine

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Le roman graphique «Mon ami Bao» de Stéphane Lafleur et Katty Maurey

Le roman graphique «Mon ami Bao» de Stéphane Lafleur et Katty Maurey

Voyage en pays tourmenté

Publié le 16 octobre 2013 par Annabelle Moreau

Crédit photo : La Pastèque

Les chiffres parlent d’eux-mêmes: 10 % à 15 % des Québécois souffriront un jour de dépression. Le cinéaste et chanteur Stéphane Lafleur et l’illustratrice et designer Katty Maurey s’attaquent par l’allégorie à cette maladie mentale dans un roman graphique inédit publié ces jours-ci aux Éditions de la Pastèque.

On le connaît davantage pour ses films (Continental, un film sans fusil, En terrains connus) et ses chansons avec le groupe folk Avec pas d’casque. Stéphane Lafleur s’est attardé cette fois à imaginer une histoire et un texte que quelqu’un d’autre que lui transformera.

C’est à l’invitation de la Pastèque que Lafleur a tenté l’aventure du roman graphique. En entrevue à Plus on est de fous plus on lit, il utilisait l’expression «nouvelle graphique». Il est vrai que Mon ami Bao est dépouillé et minimaliste: peu de mots, illustrations simples mais évocatrices, pas de couleurs criardes ou de papier glacé. La simplicité, la fragilité et l’allégorie pour un sujet difficile: la dépression.

Deux destins se croisent, d’abord celui du Chinois Bao Xishun, qui un jour a commencé à grandir pour ne s’arrêter qu’après avoir atteint la taille de 2,3354 mètres (7 pieds et 9 pouces) faisant de lui l’homme le plus grand du monde, et celui plus modeste de Gisèle, une femme entre deux âges, amie triste du narrateur au profil non sans rappeler celui de Lafleur.

La maladie mentale la plus répandue de la province est ici protéiforme. C’est parfois un nuage noir au-dessus de la tête de Gisèle, parfois un entrelacs de tentacules, parfois une pomme de terre qui aurait germé dans son estomac:

Chère Gisèle,

D’où te vient cette noirceur inconsolable qui te ronge la charpente? Comme si quelqu’un avait oublié une pomme de terre au fond de ton ventre et que ses germes avaient poussé comme des tentacules affamés.

C’est que le narrateur voudrait aider son amie aux prises dans les tourments noirs de son désarroi, mais c’est aussi l’impuissance des proches à aider quand tout est au plus mal. «Dis-moi Gisèle comment c’était quand ce n’était pas comme ça. Et parfois, quand le poids de son barda devient trop lourd, j’essaie de faire diversion, je lui parle de Bao.»

Incarner la douleur

Bao, le vrai Bao a aidé en 2006 deux dauphins d’un zoo chinois qui avaient avalé des morceaux de plastique à traverser la tempête. Avec ses bras interminables, il a plongé dans les entrailles des mammifères marins pour extirper les corps étrangers. Ce fait divers est illustré magnifiquement dans Mon ami Bao et sert de symbole à l’épanchement de la douleur de Gisèle. Le narrateur voudrait lui aussi retirer de l’estomac de Gisèle le mal qui la ronge.

Tout en finesse, l’ouvrage est une histoire pour aller dormir pour adultes. Sa facture graphique pourrait paraître d’abord comme celle d’un livre pour enfants, mais sa lecture amène lentement la découverte d’une réalité déchirante. On a tous, à un moment ou un autre, côtoyé une personne dépressive, triste ou tourmentée. L’idée est de savoir comment l’aider, la soulager, et c’est la question que creusent les mots de Lafleur.

L’objet est magnifique et les illustrations de Maurey, en teintes diffuses et poétiques, encore plus que les mots de Lafleur, permettent de plonger à bras le corps dans un brouillard que peu d’ouvrages réussissent à si bien transcrire. Une plongée étonnante, à relire plusieurs fois, et surtout à offrir à ceux qui ne trouvent pas les mots. Le minimalisme de Stéphane Lafleur imprègne l’ouvrage et incarne parfaitement la douleur et la détresse qu’il tente de transcender.

*Le lancement se tiendra au Cheval blanc (809, rue Ontario) ce mercredi 16 octobre dès 17 h.

«Mon ami Bao»
Stéphane Lafleur et Katty Maurey
Les Éditions de la Pastèque
104 pages, 23,95 $
En librairie le 15 octobre

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