LittératureRomans québécois
Crédit photo : Naoto Hattori (illustration de la couverture) et Julie Artacho (Neil Smith)
Déjà, le titre Big Bang renvoie à la science, la connaissance, mais aussi à l’être humain, à l’humanité en fait. Et le triste destin des êtres vivants s’illustre d’emblée avec la première nouvelle intitulée «Incubateurs», dans laquelle des parents doivent faire face aux troubles de leur enfant prématuré, domicilié à l’hôpital. Malheureusement, dans ce récit, Neil Smith arrive difficilement à atteindre émotivement son lecteur, si tel était le souhait, alors que la situation l’est pourtant: des parents qui vivent avec angoisse l’arrivée trop vite de B. pour qui la vie demeure incertaine.
Rapidement, dans «Protéine vert fluo», on retrouve l’auteur de Boo. Il s’agit de la nouvelle la plus captivante du recueil; la mieux maîtrisée et livrée. Le récit met en scène Max, déménagé récemment à Westmount avec sa mère, qui raconte le développement de son amitié avec Roubi-dou, un intello chétif fasciné par la science. Ici, Smith décrit bien l’étrangeté des liens qui unissent les êtres humains, avec leurs comportements singuliers et leurs passions souvent peu communes, ainsi que la forme que peut prendre le contact avec l’autre. Ceux qui ont apprécié son premier roman comprendront d’où viennent cet univers original et ses personnages un peu en marge de tout.
Dans la troisième nouvelle, «Les Bénins bénis», le lecteur fait la rencontre de John Smith, un homme qui a subi l’ablation d’une tumeur bénigne. Afin de discuter et d’échanger au sujet de ces apparitions inquiétantes sur le corps, le personnage principal met sur pied un groupe de discussion nommé les Bénins bénis. La création du groupe et les rencontres prendront une tournure pour le moins inattendue avec l’arrivée d’un nouveau confident…
Quant à «Big Bang», la quatrième nouvelle, on suit le destin d’une jeune fille de huit ans, dont le syndrome de Fred Hoyle la fait vieillir en un court laps de temps. On note une parfaite adéquation du fond et de la forme, puisque l’absence de paragraphes accentue le rythme de la nouvelle, et du même coup, la vie du personnage féminin.
Dans «Album», c’est plutôt le mélange des émotions qui nous frappe. La prémisse de départ: une tuerie à l’Université Scott dans la ville de Petertown. Que des femmes étaient visées par Mac MacDonald. Les répercussions de cet immense traumatisme s’incarnent à travers les personnages de Thomas et de sa copine Amy et nous happent sans contredit. Les thèmes de l’école, des armes et des ressentiments incompréhensibles se déploient aussi dans Boo.
La sixième nouvelle, «La boîte à papillon», nous plonge dans la vie de Jack et de son père Fred, artiste. Malgré la touchante et drôle de relation entre le père et le fils, on se demande un peu où cette nouvelle s’en va. On saisit le souvenir qu’évoque le morpho bleu capturé par Jack lors d’un voyage au Mexique qui revient clore la nouvelle, sauf que le tout n’est pas si entraînant que cela.
Pour le court récit «Drôle tordant ou drôle bizarre?», l’auteur montréalais a eu l’idée de retourner dans l’univers d’une précédente nouvelle, soit «Protéine vert fluo», mais avec le personnage de la mère. Cette dernière nous raconte des moments de sa vie pour arriver à sa situation actuelle, c’est-à-dire le départ de son fils Max pour des études, son combat de tous les instants contre son alcoolisme ainsi que la mort de son mari. Un peu longue, la nouvelle a l’intérêt de mettre en scène une femme qui parle à une pierre de curling qui contient les cendres de son mari…
Neil Smith ferme son premier recueil titré Bang Crunch en anglais avec la nouvelle «Extrémités» qui a l’originalité de présenter des gants tel un personnage. Ceux-ci, habituellement portés par un mannequin chez Winston’s (magasin de Chicago), prennent plaisir à vivre d’intenses moments chaque mercredi dans les doigts de Dagmar Zavichak. Bien que l’auteur parvienne à décrire les sensations ressenties par les gants, en les faisant pratiquement exister, on a du mal à suivre l’autre histoire en parallèle, racontée par un dénommé Larry.
Il est impératif de souligner l’excellence de la traduction réalisée par Lori Saint-Martin et Paul Gagné. Elle met en relief toutes les subtilités de l’écriture singulière de Neil Smith, colorée et loin des clichés. Par contre, il faut relever que le degré d’attrait pour certaines nouvelles s’avère plutôt variable.
En définitive, le recueil Big Bang offre un grand panorama dévoilant le monde créatif, les thèmes exploités et le style travaillé de l’auteur. Son roman Boo illustre d’ailleurs le perfectionnement du ton et de l’atmosphère qui teinte ce recueil.
«Big Bang» de Neil Smith, Éditions Alto, traduit de l’anglais par Lori Saint-Martin et Paul Gagné, 192 pages, 19,95 $.
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