«Le portrait de la reine» d’Emmanuel Kattan – Bible urbaine

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«Le portrait de la reine» d’Emmanuel Kattan

«Le portrait de la reine» d’Emmanuel Kattan

Simple lubie ou réelle apparition?

Publié le 4 novembre 2013 par Éric Dumais

Crédit photo : Les Éditions du Boréal

L’auteur new-yorkais d’origine montréalaise Emmanuel Kattan fait montre, avec son court roman Le portrait de la reine, d’une plume rassérénée qui esquisse, au fil des pages, un récit coquin et ludique bien aux antipodes de Les lignes de désirs (2012), au sein duquel une jeune étudiante quittait la métropole pour aller étudier à Jérusalem alors que les violences au Moyen-Orient sévissaient au quotidien. Dans ce troisième livre, Kattan nous présente Rick Boisvert, un travailleur new-yorkais pour le moins banal, qui est persuadé au fond de lui-même qu’il a aperçu Élisabeth II, la monarque britannique, au coin de la 49e rue, à Manhattan.

Tellement persuadé qu’il se lèvera en trombe de sa chaise habituelle du Nations Diner, à l’angle de la 1re Avenue, pour aller voir de plus près cette apparition à première vue irréelle: «Petite de taille, elle a l’aisance altière, la noblesse, le regard hiératique des êtres de grande stature. Une plume unique, jetant des reflets d’émeraude au soleil, émerge délicatement de son chapeau de feutre, comme si elle venait d’y atterrir par hasard, abandonnée en vol par un oiseau exotique.» Suivant la reine d’Angleterre à travers le dédale des rues new-yorkaises, de la 2e Avenue à la 48e Rue, Rick devra cependant se rendre à l’évidence: à l’expression d’horreur qu’elle a affichée après qu’il se soit agenouillé à ses pieds, il est évident qu’il a dû faire preuve d’une maladresse inexcusable. Humilié et rabroué, Rick Boisvert revient donc sur ses pas, l’esprit en état d’ébullition: si elle s’est montrée aussi sec à son égard, c’est peut-être uniquement parce qu’elle désirait passer incognito? Pris dans le tourbillon de ses pensées fantasques, Rick va développer un stratagème pour entrer dans les bonnes grâces du monarque britannique et tenter de comprendre le mystère de sa présence à Manhattan.

Le nouveau récit d’Emmanuel Kattan a ceci de particulier qu’il emporte le lecteur dans la conscience excentrique du protagoniste pour lui faire découvrir un pan de la nature humaine qu’il n’aura pas la chance de côtoyer tous les jours. En effet, Rick Boisvert est ce genre de personnage qui ne court pas les rues et qui a toujours passé pour un être singulier au regard des autres, un peu comme Jonathan Noël dans Le pigeon de Patrick Süskind. Très rapidement, on se retrouve le témoin intime de cette histoire saugrenue d’un être solitaire qui est persuadé d’avoir affaire à la reine d’Angleterre et d’être le seul à l’avoir identifié. Là où le récit se corse et que la blague vire au violet, c’est lorsque la dame de Sutton Place, quelque peu énervée par les agissements de cet énergumène, décide de jouer le jeu et de se faire passer pour Élisabeth II aux yeux de Rick Boisvert. Ainsi emportés dans un univers fantasmagorique où le mensonge sert les intérêts de chacun, les deux personnages vont devenir chacun le confident de l’autre et développer une relation ambigüe dont l’issue demeure inconnue. Est-ce que la dame de Sutton avouera à Rick Boisvert qui elle est réellement? Et celui-ci acceptera-t-il la véritable identité de sa nouvelle amie qu’il croit la reine d’Angleterre?

Le portrait de la reine est un récit qui offre deux opportunités sur le plan narratif et qui permettent au lecteur d’être le témoin privilégié de deux personnalités situées aux antipodes. À travers leurs différences, les deux protagonistes vont réaliser que, malgré la singularité de leur caractère, ils ont tous deux un point en commun: la solitude. Emmanuel Kattan, avec cette histoire ludique et saugrenue, réussit à traiter d’un problème sociétal et personnel qui fait réfléchir. Un petit plaisir de lecture simple mais ô combien réfléchi.

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