LittératurePoésie et essais
Catherine Deneuve, Lars Von Trier, Woody Allen, Juliette Binoche, William Hurt, Pedro Almodovar. Une liste bien peu exhaustive des plus grands noms du cinéma que Marc-André Lussier a eu l’honneur et la chance de côtoyer durant sa carrière comme critique de cinéma. En l’honneur du 25e anniversaire de sa pratique du métier, l’éminent cinéphile a sorti un recueil de ses films favoris qu’il a répertoriés depuis trente ans. De L’Homme blessé à De Rouille et d’os, c’est le meilleur de son cinéma.
Marc-André Lussier est tombé dans l’univers du cinéma comme on tombe amoureux. Un coup de foudre. Fervent admirateur de François Truffaut, le critique de La Presse s’est forgé une culture du 7e art solide en flânant dans les cinémas de répertoire qui faisaient jadis partie prenante du paysage de Montréal.
«À la fin des années 70, début 80, on devait se déplacer en salles pour voir les films. C’était une époque où il y avait beaucoup de cinémas de répertoire francophone à Montréal. On n’a qu’à penser au Cinéma Outremont ou au Ouimetoscope; c’est là qu’on pouvait se construire une culture cinématographique. Il y avait aussi des cinémas du côté anglophone qui offraient une programmation tout autre d’un milieu plus underground. C’était un circuit très florissant!», évoque-t-il.
Alors qu’aujourd’hui l’Excentris a frôlé souvent l’extinction, que des clubs vidéo l’ont vécu et qu’il soit désormais possible de regarder les 400 coups par le truchement d’un iPhone, il n’y a pas de régression par rapport à une époque révolue avance Lussier: «Nous avons adopté une manière de consommer les films qui est très différente d’il y a trente ans. Cette culture de la location et de l’achat de DVD n’existait pas auparavant. Je dois être un brin nostalgique de ces salles de cinéma disparues néanmoins. Quand on va voir un film en salles, plus rien n’existe autour de nous. Chez soi, même avec le meilleur cinéma-maison sur le marché, il y aura toujours des distractions. On ne peut pas faire le vide et s’immerger entièrement.»
Le bouquin présente une anthologie des dix meilleurs films selon le critique, échelonnée sur ces trente dernières années. Une petite Bible pour tous ceux qui sont à la recherche d’un bon film et qui ne penseraient pas nécessairement à revisiter des chefs-d’œuvre enfouis et presque oubliés. «Le prétexte d’un tel livre est de proposer des films à voir ou à revoir, car ceux qui cherchent une suggestion n’osent pas tout le temps revisiter des classiques ou des films sortis en DVD depuis un moment. Également, je voulais reprendre mes notes sur ces films pour voir si la perception a changé avec le temps», explique Marc-André Lussier, au bout du fil.
D’ailleurs, à la fin de chaque section qui représente une décennie, l’auteur revient sur ses choix et propose une mise en contexte fort intéressante sur ses critiques. Les chapitres sont aussi accompagnés du portrait d’un artiste, réalisateur ou acteur, qui a marqué à sa manière une décennie en matière de cinéma… ou le cœur de Marc-André Lussier!
De projections de presse en entrevues, c’est tout juste s’il reste assez de temps au cinéphile et newsjunkie pour s’adonner à d’autres passions. Bien qu’il dévore, quand son horaire le lui permet, tout ce qui se diffuse sur les chaînes d’information continue, il est dévoué au cinéma et CNN prend vite la clef des champs lorsqu’il est question de sa passion pour la planète cinéma. «J’aime le caractère imprévisible de l’industrie. Il n’y a pas de recette pour faire un bon film. On a beau formater certains films, on n’y arrive pas toujours. Alors que des projets peuvent s’avérer un succès sans borne sur papier, ils peuvent devenir un fiasco à l’écran», tonne-t-il de sa voix guillerette.
«À l’inverse, il y a toujours des surprises de petits bijoux qui ont passé à côté des radars. Ce qui est moins heureux c’est tout le calcul autour et l’obsession maladive du box-office. On ne peut pas évaluer un film sur le nombre d’entrées qu’il a faites en salles. Une œuvre d’art, qui a du contenu, verra sa valeur prendre du galon au fil des ans.»
Il déplore par le fait même la «crise» du cinéma québécois qui n’en est pas une. «Bien que 2012 ait été une année décevante, ce n’est pas par le manque de films de qualité. Il n’y a pas eu de crise sur le plan de la création. Ce sont les grosses productions qui engendrent d’ordinaire le plus de recettes qui n’ont pas fait leur job», expose Lussier. À voir des succès de qualité comme Louis Cyr et un film d’auteur populaire comme Gabrielle séduire le public, force est d’admettre que les Québécois sont au rendez-vous quand il est question de leur cinéma.
Vous avez dit icône?
Elle a une section qui lui est consacrée dans son livre. La première entrevue que Marc-André a faite avec cette grande dame a marqué sa mémoire à tout jamais. Quand il parle de la belle Catherine Deneuve, Lussier ne tarit pas d’éloges. Elle imprègne le 7e art d’une aura céleste dont seules certaines actrices surtout issues de l’Âge d’or du cinéma sont dotées. «Catherine Deneuve est la figure emblématique par excellence du cinéma français. Elle n’a vécu aucune période creuse et tous les projets qu’elle a acceptés sont intéressants. De plus, elle stimule encore l’imaginaire de jeunes cinéastes», évoque-t-il.
«Aujourd’hui, c’est beaucoup plus difficile d’être une icône en raison de la médiatisation à outrance des acteurs et des actrices. Il n’y a plus de mystère qui les entoure. Ce n’est pas comme Deneuve ou Brando dont on ne savait rien sur la vie. Ces gens-là se dévouaient complètement à leur art et se concentraient uniquement sur leur métier.»
Sans faire référence à eux comme à des icônes à proprement parler, Marc-André Lussier peut spéculer sans trop se tromper que d’ici 25 ans ce sont les noms de jeunes acteurs comme François Arnaud, qui a le vent dans les voiles aux États-Unis, Marc-André Grondin, qui ne cesse de faire du chemin depuis C.R.A.Z.Y., ou encore Sophie Desmarais, qui est promise à une brillante carrière, qui risquent selon lui de se retrouver dans le prochain bouquin du critique. Et pour ce qui est du côté des réalisateurs? «Xavier Dolan risque de devenir culte dans 25 ans, n’en déplaise à tous ses détracteurs!»
«Le meilleur de mon cinéma» de Marc-André Lussier, Éditions La Presse, octobre 2013, 288 pages, 22,95 $.
Crédit photo: Éditions La Presse
Écrit par: Ariane Thibault-Vanasse