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Crédit photo : Actes Sud
On sera heureux de renouer avec le vaste univers du Cimetière des livres oubliés, à débuter par les membres de l’attachante famille Sempere, de même qu’avec le sulfureux Fermin Romero. L’humour caustique et la verve de ce dernier n’ont d’égaux que ceux d’Alicia Gris, une agente à l’esprit vif et opiniâtre chargée de faire la lumière sur la disparition inopinée du ministre Manuel Valls. Flanquée du capitaine Vargas et munie d’un flair aiguisé, elle suit la trace de criminels dont on peine à imaginer le danger véritable qu’ils incarnent, tranchant avec la silhouette gracile aux aspects inoffensifs de la protagoniste.
Les personnages prennent parfois un aspect surhumain sous la plume de Zafón: ils se révèlent démesurément brillants, inatteignables. Néanmoins, le lecteur s’attache à eux sans peine. Or, Zafón prend plaisir à changer brusquement l’aspect du visage de certains au détour de l’intrigue. Le lecteur ressent alors la brûlure des sentiments, caractéristique chez celui qui aime, puis se voit trahi, découvrant la vraie nature de l’autre, sa cruauté.
Le véritable personnage principal dans Le labyrinthe des esprits s’incarne dans la ville de Barcelone elle-même. Les descriptions qu’en fait Zafón ont la prégnance de photographies – en noir et blanc, il va sans dire -, ralliant ceux qui n’ont pas connu la chance de sillonner les méandres de Barcelone, et ravissant ces derniers. Les descriptions culminent toutefois dans celles des modulations de lumière que l’écrivain transcrit avec un soin magnanime, comme s’il se fût agi d’un liquide ruisselant dans les tranchées du récit ou encore jaillissant sur le visage de ses nombreux acteurs. Au-delà des images qui se dessinent dans l’esprit du lecteur, Zafón dépeint les odeurs avec une remarquable puissance d’évocation – c’est à peine si l’on n’éprouve pas un haut-le-cœur lorsque le tandem Gris-Vargas débusque certains indices macabres.
Ce que humera le lecteur, c’est, en outre, un fumet de désillusion. Au sortir d’une guerre qui a heurté l’espoir que nourrissait la population envers une scène politique saine, les personnages baignent dans une atmosphère sinistre – celle des années de plomb. Leur horizon semble bouché. Quelques gerbes d’espoir percent toutefois la toile moribonde qui s’est déroulée sur Barcelone après la guerre. Cet espoir, il s’incarne dans les liens qui unissent entre eux les membres d’une famille, de même que dans le geste d’écrire lui-même.
Enfin, davantage qu’une enquête passionnante, c’est à une réflexion sur les livres et sur l’univers qui s’y rattache, à une sorte de méta-littérature, que convie Zafón. C’est avec grand regret qu’on quitte cet univers dont les ramifications et l’architecture sont aussi tortueuses que celles de la ville de Barcelone elle-même.
«Le labyrinthe des esprits» de Carlos Ruiz Zafón, Éditions Actes Sud, 848 pages, 44,95 $.
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