«Le Duel» d'Arnaldur Indridason – Bible urbaine

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«Le Duel» d’Arnaldur Indridason

«Le Duel» d’Arnaldur Indridason

Des personnages plus intéressants que l’intrigue dans ce nouveau polar

Publié le 7 avril 2014 par Isabelle Léger

Crédit photo : Éditions Métailié

Il ne faudrait jamais sous-estimer le danger que représente un petit magnétophone. En 1972, à Reykjavik, alors que se déroule un duel épique entre deux maîtres des échecs, un adolescent est poignardé dans l’obscurité d’une salle de cinéma. Anonyme, ayant pour seul vice caché la manie d’enregistrer les films qu’il va voir, ce jeune garçon semble s’être trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Mais pourquoi a-t-il connu ce triste sort? Ce fait divers local est-il relié de près ou de loin à l’événement international qui occupe la ville entière?

Incarnation de l’affrontement à la fois déclaré et stratégique qu’était la guerre froide, ce duel entre Fischer (Américain) et Spassky (Russe) en terre islandaise pourrait, selon l’enquêteur Marion Briem, donner lieu à une foule de complots et de tractations. Cherche-t-on à manipuler l’issue du tournoi? La vie d’un des protagonistes est-elle carrément en danger? Ce duel n’est-il, en réalité, qu’un prétexte pour une joute géopolitique entre responsables haut placés des deux camps? Découvrir de quel complot le jeune Ragnar a été témoin malgré lui s’avère long et complexe. Une panoplie de personnages souvent singuliers viendront faire leur tour de piste pour brouiller les cartes. Ce n’est qu’avec l’entrée en scène d’un dénommé Vidar, à peu près à mi-parcours, que les morceaux du casse-tête commenceront réellement à s’emboîter.

Ce n’est pas la première fois qu’Indridason s’intéresse aux liens que l’Islande a entretenus avec le Parti socialiste de la défunte Union soviétique. Son roman L’Homme du lac, paru en 2009, mais dont l’action se déroulait en 2000, amenait son enquêteur fétiche Erlendur à fouiller le passé d’anciens étudiants islandais membres de la jeunesse socialiste. Cette fois-ci, l’intrigue elle-même se situant il y a quarante ans, l’auteur a ramené le commissaire qui avait formé Erlendur, personnage entrevu brièvement auparavant.

Comme dans tout bon polar moderne qui prétend au statut de roman, le personnage central a de l’épaisseur, c’est-à-dire un passé douloureux et des failles. Enfant illégitime d’une domestique et d’un fils à papa, Marion Briem a été une enfant fragile marquée par la mort précoce de sa mère, la tuberculose et l’atmosphère de sanatorium des années 1930. À l’âge adulte, son entrée dans la police ne s’est pas faite par amour des pistolets, on imagine bien. Souffrant de solitude viscérale, désavantagée dans sa condition physique, ce qui la porte à la lecture et à la réflexion, c’est la commissaire typique de pays nordique, ayant à peu près 50 ans au moment de l’enquête.

Typique à première vue, car c’est aussi un personnage qu’on annonce rapidement comme ambigu: «Ça t’est déjà arrivé d’être incapable de dire si tu as affaire à un homme ou à une femme?», demande un témoin à un autre, à propos de Marion. L’écriture prend bien soin de ne jamais marquer le genre masculin ou féminin du personnage, ce qui est un exploit en français. À une seule exception près, où le pronom elle apparaît en douce.

Si son histoire est intéressante, sa personnalité est peu exploitée dans le récit central. Son caractère se démarquera surtout par son empathie envers ce pauvre garçon assassiné et sa famille. L’absurdité de la mort de Ragnar lui rappelle celle de la maladie qui emportait parents ou enfants, indifféremment. Impuissante à l’époque, aujourd’hui elle a le pouvoir d’agir, quitte à passer outre un ordre de son supérieur. Sur le plan de l’intégration de l’histoire personnelle dans la progression de l’enquête, on en aurait quand même souhaité un peu plus.

Sachant que l’auteur était auparavant scénariste, on a l’impression qu’il manque une mise en scène visuelle, ou encore le non-dit du jeu d’une actrice, pour que les deux histoires se fusionnent. Est-ce le début d’une série d’enquêtes mettant la commissaire androgyne en vedette? On l’espère quand même, car le personnage a un fort potentiel dramatique et romanesque, et les petites longueurs de ce suspense s’en trouveraient excusées.

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