LittératurePoésie et essais
Le Dictionnaire de la révolte étudiante, paru aux éditions Tête première sous la direction de Laurence-Aurélie Théroux-Marcotte et Mariève Isabel, frappe tout d’abord par la grande pluralité des voix qui le constituent. Un économiste, un médecin, une juriste, un cinéaste, des étudiants, des professeurs, des philosophes, des écrivains, des musiciens, des journalistes… Cette diversité rend compte de la complexité d’un mouvement qu’on a trop souvent réduit à des clichés visant une couche de la population que certains auraient voulu homogène.
La préface, admirative, est signée par le grand sociologue Guy Rocher, ce qui témoigne d’emblée du fait qu’il s’agit d’un projet qui n’émane pas de l’esprit d’une seule génération, celle qu’on a tant pointé du doigt lors du mouvement étudiant, mais bien d’un souffle collectif, à l’image de cette foule hétéroclite qui battait le pavé il n’y a pas si longtemps encore.
Malgré la multitude de plumes, les directrices de l’ouvrage ont réussi un tour de force: réunir toutes ces écritures sous le signe d’une certaine ironie qui rappelle notamment celle du Dictionnaire philosophique de Voltaire. Convoquant la culture populaire ou puisant dans le savoir érudit, les collaborateurs se font encyclopédistes et explorent de manière ludique les sens occultes de termes emblématiques du conflit étudiant. «Mauvaise foi», «sangria», «mode solution», «écoute», «ligne dure», «juste part»… autant de déjà-vus lexicaux essaiment ce dictionnaire des termes galvaudés et des idées reçues, mêlant à l’amertume du souvenir l’étincelle de l’humour caustique propre à la contrainte générique de la définition.
Au-delà de l’ironie et des amusants exercices de style auxquels se sont livrés les collaborateurs, cette publication essentielle nous rappelle que le mouvement étudiant a été, presque avant tout, une guerre des mots: boycott ou grève, condamner ou ne pas condamner la violence, être du côté de la rue ou de l’ordre social, écouter les casseurs ou la majorité silencieuse… En réfléchissant au sens des mots, en refusant la transparence du langage, en jouant de la polysémie des termes qui ont résonné tout au long du printemps étudiant, le Dictionnaire de la révolte étudiante fait s’élever une pluralité de voix qui redonnent leur vitalité aux mots, trop longtemps meurtris par la langue de bois.
Il faut souligner également l’excellence du travail d’édition de la toute jeune maison Tête première, qui nous livre à chaud un ouvrage d’une très belle facture et réunissant un nombre effarant de collaborateurs. Grâce à cet admirable travail collectif, le Dictionnaire de la révolte étudiante sera certainement une référence essentielle parmi la prolifération d’ouvrages qui suivra le printemps étudiant et dont on voit déjà les premières parutions. En scrutant les mots et leurs implications sous toutes leurs facettes, le collectif ne cède pas à la bête partisannerie, mais fait entendre clairement sa révolte contre la langue de bois qui menace la pensée libre et le langage même.
Appréciation: ****
Crédit photo: Tête première
Écrit par: Luba Markovskaia