LittératureRomans étrangers
Crédit photo : Éditions Grasset
Maya Vidal, à moitié chilienne et danoise, n’a de sud-américain que son nom. Lorsqu’elle arrive à Chiloé, une île perdue au sud du Chili d’où vient sa grand-mère, sa peau ivoire et ses sourcils pâles attirent l’attention. Aussitôt surnommée «gringuita» (diminutif affectueux de «touriste»), Maya se moule tranquillement aux journées grises et luxuriantes particulières à ce village isolé, mais aussi à la cohabitation avec Manuel Arias, un cousin éloigné de sa grand-mère Nini, solitaire depuis plusieurs années – lire décennies. Elle doit s’y acclimater, puisqu’elle n’a pas quitté les États-Unis pour prendre de simples vacances, ce que nous apprenons au long du récit, mais plutôt pour sa survie.
Sans démarcation dans le texte autre que le passage des saisons chiliennes, Maya nous livre en parallèle deux histoires: d’une part, sa vie à Chiloé racontée au présent à la manière d’un journal, puis sa «biographie», de son enfance jusqu’à la désintoxication qui a précédé son départ sur l’île.
Dès sa naissance, Maya soupçonne avoir été victime d’une sorte de malédiction, car «là ou [elle] pose le pied, l’herbe ne repousse plus». D’abord, sa mère l’a abandonnée quelques jours après sa naissance à ses grands-parents paternels pour retourner à son Danemark natal, et son père pilote d’avion n’est presque jamais sur la terre ferme pour s’occuper d’elle. Heureusement, entourée d’une grand-mère hippie militante et passionnée d’astrologie et de son mari astronome – appelé affectueusement Popo par la narratrice –, Maya grandit dans une atmosphère saine. Son calvaire a commence véritablement alors que son Popo meurt lorsqu’elle a 16 ans: suite à cette immense peine, avec ses deux amies «vampires», elle repousse plusieurs limites (consommation de drogues et d’alcool, sexualité débridée) et use de stratagèmes inusités pour obtenir de l’argent rapidement afin de subvenir à ses dépendances. Il est impossible de tout résumer sans révéler des éléments importants de l’intrigue, mais mentionnons que le lecteur n’est pas au bout de ses peines: ce n’est que le commencement des embrouilles dans lesquelles la narratrice s’est plongée.
Avec humour et une certaine naïveté, tout en restant toujours sur la ligne du réalisme, Isabel Allende aborde des sujets durs – le viol, le trafic de drogues, le crime – en montrant une extrême connaissance de cet univers et de la psychologie humaine. La narration, sous la forme d’un entonnoir, est très intéressante, car nous avons d’abord accès à deux parties éloignées de l’histoire qui se rapprochent à mesure que les pages se tournent. De plus, l’authenticité et la naïveté de Maya nous touchent, surtout en prenant conscience des épisodes que cette jeune femme a vécus. Avec elle, nous nous attendrissons devant les personnes âgées, les démunis et – plus généralement – les traditions chiliennes, mais jamais de manière lyrique ou stéréotypée.
Le cahier de Maya se lit en coup de vent, en laissant des traces visibles sur son passage. Difficile, même quelques jours après la lecture du roman, de se départir de l’attachante Maya et de son regard lumineux. On peut reprocher bien des choses à Isabel Allende, dont la visée commerciale de ses œuvres, mais on ne peut lui retirer ce qui lui revient: un indéniable talent d’écriture.
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de la rédaction