LittératureLa petite anecdote de
Crédit photo : Tous droits réservés @ Chantal Nadeau
Tête-phare
Chicago
10 juillet 2020
7:00
Aujourd’hui c’est l’anniversaire de mon père.
Jacques et ses 2 milliards de cigarettes de vie plus tard.
Le corps boucane de mon père
top 80 ans, deux poumons «en forme»
un corps avec un rein en moins
alors que l’autre, solitaire, s’essouffle dans un filet à peine audible.
Le 10 juillet 2020 sera son dernier anniversaire.
Mais en ce matin radieux et chaud
à l’ombre des festivités à venir sur FaceTime
je l’ignore.
Chaque matin depuis la réouverture récente des 30 km du Lakefront Trail
qui love le lac Michigan
mes pas brûlent les 500 mètres qui me conduisent jusqu’à Hollywood Beach, aka the queer beach.
Les locals s’y aventurent avant l’aube
battant de vitesse les raids et les bâtons de la flicaille qui débarque chrono entre 8:00 et 8:30.
Ma plage à moi est avalée
par une constellation bigarrée, hybride, voyeuse
un ballet complexe se met en place
corps éclatés
épaves de la nuit et du jour
poqué.e.s, retraité.e.s, studs, athlètes d’un jour, athlètes on a mission,
dog lovers et dog haters y convergent en grains parsemés.
Toujours les mêmes visages, les mêmes corps, les mêmes gestes
oiseaux de nuit et de jour s’agitent telles des puces de sable
l’œil squattant tout signe d’orage humain ou naturel à l’horizon
Le lac est d’un calme invitant et trompeur.
J’enfile mon wet suit court et plonge dans l’eau frigide
16 C ce matin.
Brutal.
Anxieuse je cherche la plage.
Mon corps se détend enfin.
Elle. Est. Ici.
Je la vois plonger à son tour
grande, décomplexée, forte, sa tignasse couleur cuivre rebelle.
Chaque fois
je cède en jurant que cette fois c’est vraiment la dernière.
Je prétends faire mes longueurs, désintéressée
et le désir tire mon corps dans son sillon
je nage à contre-courant
et suit la courbe de la plage à hauteur d’elle.
2 mètres de séparation
une distance intime
dans l’infini du lac.
Soudain ma vision se dédouble.
Je capte un mouvement incongru à la tête du phare aux couleurs du drapeau arc-en-ciel
j’abandonne l’appel de la sirène rousse
change de cap et glisse vers le quai.
Je distingue une silhouette sur la façade nord
la moins exposée
la face cachée de la plage.
Un homme.
Debout.
Arc-bouté.
Je nage vers lui
Lui. Compact, peau blanche, bronzé, fort, tout en nerfs.
À travers mes lunettes embuées
une scène fascinante:
il baise le phare.
Robinson Crusoe urbain circa 2020.
Il semble m’avoir repérée
Moi, un chas dans l’eau turquoise et froide
Il continue ses mouvements lents et précis.
Je me mets au diapason.
Un coup de hanche,
un mouvement de brasse
un coup de hanche
un mouvement de brasse.
La danse baise-brasse se prolonge jusqu’au moment au j’atteins finalement le quai.
La baise trans-matière s’arrête brusquement.
Il virevolte et me fait face.
Full frontal.
D’un geste vif et précis, il remballe tout: pénis, testicules, fesses.
Son visage en sueur brille dans le reflet du soleil qui se lève.
Nos regards se soudent.
Je m’esclaffe
Lui aussi.
Un signe de main.
David.
Mon voisin de palier.
Queer jusqu’au trognon.