LittératureLa petite anecdote de
Crédit photo : Same Ravenelle
Cher correspondant suicidaire,
Tu me rappelles un ancien correspondant. On était dans le même atelier d’écriture à l’université. Il me trouvait beau, il me trouvait cool avec mes vêtements, mon MacBook, toutes les affaires que je flashais. Il était timide. Son dernier texte portait un titre avec le mot caca dedans. C’était un très bon texte, mais quand est venu son tour de lire à voix haute, il avait disparu. Il devait être gêné. Son histoire parlait d’un garçon de sa classe dont il était amoureux. C’était moi.
Mes ami·es l’avaient invité à notre souper de Noël. Il a fumé du pot pour la première fois, c’était une image traumatisante, son visage rouge, ses cheveux orange et la boucane qui sortait par tous ses trous quand il s’étouffait. Il faisait vraiment pitié.
Des mois, voire des années plus tard, on s’est mis à correspondre. C’était intéressant. Mais j’ai bêtement arrêté de lui écrire. Il m’a reproché, dans une de ses lettres qui ne trouveraient jamais de réponse, de l’avoir utilisé pour assouvir un fantasme littéraire. Il voulait mourir, lui aussi, mais il me l’a annoncé de façon plus explicite que toi. J’ai peur qu’il se soit suicidé par ma faute.
Depuis la sortie de Daddy, je t’ai négligé. J’ai lu tes dernières lettres sans y répondre. On dirait que je t’ai utilisé, toi aussi. En plus, je mets en scène notre correspondance dans Daddy. Elle m’a beaucoup servi. Tu dois vraiment penser que je t’ai abandonné dès que j’en ai eu fini, de toi. Mais c’est faux: j’ai encore très besoin de toi.
Hier, je suis allé au lancement d’une revue à laquelle j’ai contribué. Là-bas, j’ai discuté avec d’autres auteur·ices. L’un d’eux.elles m’a dit, alors que je lui parlais de Daddy, «Je ne savais pas, en lisant, que tu avais fait un pacte avec le réel». Je n’ai pas compris pourquoi. Je l’avais pourtant dit dans le livre. C’était donc insuffisant ? Encore une fois, j’apprends que le problème persiste: personne ne me croit. Sauf toi.
Antoine