LittératureRomans québécois
Michel Tremblay a mis le point final à une partie de son œuvre romanesque en clôturant la saga alliant les familles Desrosiers et Tremblay dans le roman le plus abouti de sa carrière.
Le puzzle, comme il se plaît à l’appeler, a enfin trouvé les pièces maîtresses lui permettant de remplir les cases vides. Commencé en 1996 avec En pièces détachées, le lecteur, 46 ans plus tard, est désormais solidement armé pour affronter la double saga réunissant un microcosme d’une société québécoise type, le tout distribué dans un vingtième siècle plus vrai que nature.
La grande mêlée met en scène, dans un réalisme signé de la main de maître de l’auteur, la rencontre finale entre la famille de Rhéauna, surnommée Nana, et la lignée paternelle du clan des Desrosiers, de laquelle l’auteur s’était longuement attardé dans ses Chroniques du Plateau-Mont-Royal. Une grande aventure, certes, puisque ce roman est le point de jonction entre les aventures et mésaventures de deux familles ayant déjà appris à s’aimer, s’entourlouper, se tromper et se chicaner à qui mieux-mieux. Mais, hélas!, n’est-ce pas le même malheur qui frappe à la porte de toute bonne famille qui se respecte?
Si les deux clans, éparpillés ici et là entre Regina, Saskatoon et Montréal, se réunissent dans la grande métropole en ce mois de mai 1922, c’est bien pour célébrer un évènement plus que spécial: le mariage de Gabriel, fils illégitime de Josaphat, et celui de Rhéauna, dont la mère Maria s’est chargée de défrayer toute dépense malgré son évidente pauvreté. La grande mêlée, un peu comme le réveil du coq, vient éveiller les mémoires collectives de ces êtres dispersés à travers le Canada, rappeler de bons ou de mauvais souvenirs et même déterrer, pour le malheur de certains, de vieilles rancunes jusqu’ici jamais pardonnées. Entre les dialogues écrits en joual et l’imaginaire débridé de Michel Tremblay se joue le dur quotidien de personnages modestes au cœur tendre, comme Josaphat, ce violoneux ivrogne, rongé par un terrible secret, Alice, cette vieille fille caractérielle qui a quitté sa compagnie de cigarettes la tête haute; ou encore Béa, cette irrésistible gourmande, qui travaille pour une charmante biscuiterie et qui donne, en cachette, des biscuits périmés aux plus désireux. Michel Tremblay, avec ce grand roman, a réellement inventé un microcosme grouillant, au sein duquel évoluent des personnages à la fois rigolos, méchants, tristes et amers. La grande mêlée se dévore comme un théâtre vivant puisque ce sont les personnages qui marquent le point de départ de chaque chapitre.
Michel Tremblay peut revenir de Key West à Montréal l’âme en paix, car son aventure romanesque avec ces grandes familles québécoises se termine dans de grandes festivités bien arrosées. Si, toutefois, certains personnages ne semblent pas ouverts à se réconcilier avec leurs ennemis, nous, pour notre part, pouvons tourner la dernière page le regard ravi.
«La grande mêlée»
Leméac Éditeur
273 pages
Appréciation: ****
Crédit photo: Leméac Éditeur
Écrit par: Éric Dumais