«La désolation» de Jérémie Leduc-Leblanc – Bible urbaine

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«La désolation» de Jérémie Leduc-Leblanc

«La désolation» de Jérémie Leduc-Leblanc

Le sens de la nouvelle, tout simplement

Publié le 2 décembre 2013 par David Bigonnesse

Crédit photo : Triptyque

Parfois, la vie semble avoir été tracée pour nous et il est pratiquement impossible d’en changer la trajectoire. Parfois, le quotidien est d’une telle lourdeur que l’on se demande si la vie n’est pas qu’un grand moment vide. Parfois, il y a un point de non-retour; il faut en finir, ne plus revenir chez soi, dans sa famille, dans sa propre vie. Tout cela, l’auteur Jérémie Leduc-Leblanc le met en scène dans son recueil de nouvelles intitulé La désolation, confirmant du même coup que l’expression «dévorer un livre» existe bel et bien.

On semble oublier souvent que la nouvelle est un genre littéraire qui fascine autant par sa forme que par son contenu. Souvent, en quelques pages, l’auteur peut réussir à nous faire transporter facilement dans l’univers d’un personnage, bien plus que ne le ferait un roman. Dans le cas de La désolation, l’image peut sembler intense, mais le lecteur a l’impression de rentrer dans un immeuble, d’ouvrir les portes des appartements et de pénétrer à l’intérieur de ceux-ci. Découvrant ainsi des personnages qui vivent tous des choses différentes, du drame au vide existentiel, en passant par l’exaspération quotidienne.

Les personnages de ces dix-huit nouvelles vivent tous dans une espèce d’irréversibilité. Le destin, pourrait-on dire. La souffrance quotidienne, être à la mauvaise place au mauvais moment, l’incapacité à être dans une autre vie, etc. Les thèmes explorés, qui ne sont pas clichés, même si on reconnaît des histoires (un père de famille qui a un amant dans «Les amants d’un jour» par exemple) racontées un peu partout. Les petits mondes créés surprennent par le désir de jouer avec la forme: le narrateur omniscient ou à la première personne, le découpage en fonction des jours de la semaine ou de certains jours durant l’année, le vocabulaire cru de quelques protagonistes, etc.

Il faut souligner que l’auteur, qui a notamment publié chez Triptyque le recueil de nouvelles La légende des anonymes et autres promenades en 2011, a sans aucun doute le sens du rythme et l’habileté à construire des récits d’une grande fluidité. Le point relevé paraît peut-être anodin, puisqu’il est incontournable dans l’optique de l’écriture de la nouvelle, mais il est tout de même important de le souligner.

On sent que l’auteur a travaillé en profondeur chaque nouvelle, comme si on plongeait dans un univers différent, tout en gardant ce fil conducteur qui semble être justement cette affliction dont sont atteints les personnages.

Le lecteur ne s’engagera peut-être pas avec la même intensité dans chaque nouvelle, mais il est certain que l’originalité de certaines le captivera. On pense à «Kathy Cruelle», une jeune fille au début de l’adolescence, évoquant d’une manière désarmante ses désirs, ses refus, sa réalité et le monde qui l’entoure: «Les plus grandes à l’école, elles font des concours de pipes, mais je sais pas c’est quoi qu’elle gagne, la gagnante. Mais il semble que si une fille met le sexe d’Eddy, d’Adrian, de Tucker, Rick, Joe, Monty, Brad, Zack, Ricky, Marlon, Robert, Ken, Matt, Lewis, Carter, Maxwell et John dans sa bouche, dans l’ordre ou le désordre, elle obtient le titre de fille la plus cool de l’école.» L’originalité se traduit aussi dans «Si j’étais un homme», nouvelle dans laquelle un des deux personnages prénommé Julien devra composer avec l’idée de faire un coming out bien particulier.

Au final, même si quelques chutes s’avèrent un peu décevantes, moins mordantes, La désolation offre au lecteur des univers qui montrent la vie telle qu’elle est, sans fard. À lire si vous aimez l’auteur, le genre ainsi que ceux qui ont apprécié grandement les recueils de nouvelles Sans cœur et sans reproche (1983) ainsi que Les Aurores montréales (1997) de Monique Proulx.

«La désolation» de Jérémie Leduc-Leblanc, Triptyque, 2013, 175 pages, 20 $.

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