LittératureRomans québécois
Crédit photo : VLB éditeur
Narrés respectivement par les deux protagonistes, soit Félix Fontaine et Anne Sagedieu, les deux récits ne s’entremêlent pas, mais la question religieuse et tout se qui en découle fait office de fil conducteur au livre. Après le prologue et une brève incursion dans la vie de Félix au XXIe siècle au Québec, le lecteur recule dans le temps quelques centaines d’années plus tôt, plus précisément en août 1572, en sol parisien. Anne Sagedieu, roturière – titre qu’elle utilise souvent lorsqu’elle raconte les péripéties qui bousculent sa vie et celle de plusieurs Français – se retrouvera au centre de la commotion qui secouera un pan de l’histoire de la France.
Faisant partie d’une famille de commerçants, la jeune femme doit se rendre au palais du Louvre pour livrer une commande de tissus à Mlle de La Vergne, suivante de la reine de Navarre (Marguerite de Valois). À l’aide de ses accompagnateurs Antoine Dubois et Jehan Brissier, Anne Sagedieu cherche l’aile du château qui les mènera au bon endroit. Toutefois, la sortie du palais royal ne se fera pas aussi facilement, puisqu’ils seront apostrophés par trois hommes armés bien déterminés à les questionner, voire les enquiquiner. Au terme d’échanges et de nouvelles rencontres avec des personnalités phares du Louvre, on ne voudra point les laisser sortir. La raison: ils ont entendu des propos pour le moins explosifs concernant l’avenir de certaines personnes. Propos qui ne doivent sortir de ces murs.
S’en suivra évidemment une série de revirements à la hauteur des histoires bien fignolées et graves en conséquence. Anne Sagedieu et son entourage, tout comme le lecteur, seront confrontés aux plus grands de cette époque tumultueuse, moment névralgique en ce qui a trait aux guerres de religion. Catherine de Médicis, la reine Margot, le duc Henri de Guise ainsi que d’autres feront partie de ce paysage littéraire tapissé par le sang, l’hypocrisie ainsi que, il le faut bien parfois, la fraternité. La vie plus personnelle des personnages ne s’arrête pas pour autant: Élisabeth d’Autriche se liera d’amitié avec Anne Sagedieu; le promis de cette dernière, Antoine Dubois, décevra celle-ci; la famille Sagedieu vivra des moments assez intenses, puisque l’attrait pour le fanatisme religieux de certains aura des répercussions désastreuses, etc.
Il faut dire qu’avec tous les événements qui abondent ce roman, le lecteur n’a point le temps de s’ennuyer. On prend goût à suivre les multiples rebondissements qui ponctuent la vie d’Anne Sagedieu. Les drames qui se sont bel et bien déroulés à cette époque, tels le massacre de la Saint-Barthélémy ainsi que la chasse quotidienne de plusieurs hommes envers ceux qui ne partageaient pas la religion catholique, forment une histoire très bien construite et qui a l’intelligence de nous amener à une période que plusieurs ne connaissent point. Les friands d’Histoire tout comme ceux qui ont dévoré La Reine Margot d’Alexandre Dumas ne seront sans doute pas déçus.
Quant à l’histoire contemporaine de Félix Fontaine, l’autre personnage principal du roman, du deuxième récit (en alternance avec le premier), il faut avouer qu’elle pique la curiosité, car son déroulement laisse présager une hausse des tensions entre les Québécois d’origine dans Saint-Barthélémy-de-la-Côte-Nord (le nom n’est pas un hasard ici) et les immigrants musulmans habitant le village. Sans laisser de côté la vie personnelle de Félix, les désirs amoureux et la quotidienneté sont présents, le lecteur saisit bien l’importance de la découverte de documents anciens par le jeune homme. Par contre, on peut reprocher que la solution pour régler le conflit et les tensions qui pourraient s’envenimer semblent donner des résultats rapides et on imagine mal ces choses se régler peut-être aussi facilement.
Au final, d’un point de vue stylistique, l’écriture riche, mais sans être ampoulée de Bouchard, et la facilité avec laquelle il semble tisser des liens et faire avancer l’histoire ne peut que nous procurer un moment de lecture captivant et intense. L’auteur n’évite pas la réalité dure des meurtres gratuits, du sang qui gicle et aussi de la domination de certains hommes. «Je fus surprise de constater que les hasts ne s’animaient pas autour de moi. Pire! Je réalisai que non seulement les guisards ne s’émouvaient pas, mais que le violeur entre les cuisses de Ninon recommençait à s’activer. D’une main, il dégaina une dague qu’il appuya sur la gorge de la jeune fille.» Même dans les passages les plus troublants et répugnants, le roman ne nous lâche pas des mains.
«La croix blanche et l’épée», Camille Bouchard, VLB éditeur, 2014, 568 pages, 29,95 $.
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de la rédaction