LittératureBandes dessinées et romans graphiques
Crédit photo : Actes Sud
Noircir le papier afin d’illustrer de courtes histoires de H. P. Lovecraft est en soi un défi majeur, mais Erik Kriek, illustre dessinateur des bandes dessinées Gutsman et Tigra, s’est déjà illustrer auprès du grand public après avoir connu un succès foudroyant dans son pays d’origine. Ainsi, surpasser le travail d’Eppo Doeve, qui avait jadis illustré une anthologie des histoires d’horreur anglaises et américaines, était en quelque sorte le défi personnel de Kriek, mandat dont il s’est largement dépassé avec sa vision singulière des monstres peuplant l’imaginaire débridé de H. P. Lovecraft.
La BD met de l’avant six courtes histoires qui ne sont cependant pas des œuvres aussi majeures qu’Air froid (1926), Herbert West, réanimateur (1922) ou Les rats dans les murs (1923), récits à donner la chair de poule, qui multipliaient les soubresauts chez le lecteur, tout en mettant en scène une intrigue d’une rare complexité.
L’Invisible, malgré l’importance qui lui est accordée, est loin d’être l’histoire qui se démarque du lot. En résumé, un homme vient prendre des nouvelles de son ex-ami Crawford Tillinghast, dont il n’a plus de nouvelles depuis la fin de leurs études. À son arrivée, l’homme qui lui ouvre la porte est squelettique, cerné, l’air malade, et alimenté d’une fougue qu’il ne lui connaissait pas jusqu’alors. Pressé de le faire entrer, l’homme s’exécute et remarque rapidement la raison d’une telle agitation: Crawford a mis au point une machine servant à révéler les éléments cachés à l’œil humain, y compris les monstres les plus hideux. Bien entendu, la démonstration tourne au vinaigre, sans toutefois nous laissant coi devant un dénouement magistral.
Coup de cœur cependant pour la bande dessinée Je suis d’ailleurs, qui présente un mort-vivant sortant de la pénombre de son tombeau pour aboutir, à la nuit tombée, dans une fête bourgeoise bien entamée. Histoire d’à peine six pages, mais qui comporte un rebondissement simple et délicieusement… monstrueux.
La meilleure bande dessinée du recueil est sans contredit La couleur tombée du ciel, une histoire de vingt-cinq pages, qui multiplie les retours dans le temps, lesquels servent à nous mettre en lumière les évènements ayant chamboulé la vie à la ferme de Nahum. En fait, tout a commencé par un gigantesque météorite tombé du ciel et qui a atterri à un jet de pierres de la résidence de Nahum et de sa famille, laissant un trou béant sur leur terrain. Les jours passent et cet évènement en apparence anodin se transforme en véritable catastrophe majeure. En effet, le trou laissé par le météorite disparaît dès le lendemain, mais la végétation dépérit et le puits d’eau devient contaminé. Sommé par les fermiers avoisinants de ne pas consommer ses légumes et sa réserve d’eau, Nahum fait la sourde oreille et continue de manger ses réserves. Jusqu’au jour où sa femme, ou plutôt son ex-épouse, se transforme en monstre hideux…
Les éditions Actes Sud ont misé juste en publiant un aussi beau recueil. En plus d’être magnifiquement illustrée, l’anthologie des nouvelles de H. P. Lovecraft met de l’avant une narration bien formulée, superbement traduite en français, laquelle prouve dès lors qu’un travail de moine a été réalisé à ce niveau-là. Les seuls bémols sont accordés au niveau de la durée de l’anthologie, qui regroupe seulement six histoires, et de la pertinence de certaines bandes dessinées, dont l’intrigue n’est pas à l’image glauque que l’auteur a laissé de son vivant.
«L’Invisible et autres contes fantastiques»
De H. P. Lovecraft, illustration par Erik Kriek
Éditions Actes Sud
111 pages, environ 31, 50 $
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de la rédaction