«Je me connais, donc je joue» – Bible urbaine

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«Je me connais, donc je joue»

«Je me connais, donc je joue»

Double publication pour Jean-François Casabonne

Publié le 1 juillet 2014 par Annabelle Moreau

Crédit photo : Éditions Somme toute

«L’acteur tire sa force des mots. L’acteur n’existe que par eux», écrit Jean-François Casabonne dans Du je au jeu, un essai éclaté sur le théâtre qu’il a fait paraître en juin aux Éditions Somme toute. L’auteur a également publié coup sur coup Une girafe et un pont, deux spectacles-chantiers réunis dans un court ouvrage.

Acteur, mais aussi poète, créateur et écrivain, Jean-François Casabonne est un homme de mots et de jeu. Diplômé du conservatoire d’art dramatique de Montréal en 1998, il est depuis de la distribution de nombreuses pièces ici et ailleurs (dont Diable rouge chez Duceppe en 2013 ou L’histoire du roi Lear au TNM en 2012) ainsi qu’à la télé. En 2010, il faisait paraître un roman, L’Homme errata (Fides), lui qui avait déjà derrière la cravate un recueil de poèmes, deux récits et une pièce de théâtre.

Au cœur et en marge tout à la fois des productions théâtrales québécoises, Casabonne s’arrête dans Du jeu au je sur les racines de son travail, mais n’a pas, précise-t-il «la prétention d’élaborer une nouvelle théorie sur le jeu», seulement de réfléchir sur son métier à travers le prisme de sa propre expérience. Pas d’intentions démagogiques donc, mais des réflexions personnelles sur ce qui l’a amené, lui, à mieux faire ce métier haut en émotions.

Il est vrai que l’ouvrage a pour sous-titre «Réflexion expressionniste d’un praticien sur le théâtre» et que son auteur revient abondamment sur la tragédie grecque, notamment l’histoire d’Œdipe et de son père, Laïos, et se sert de leur relation comme d’une métaphore du travail de l’acteur. C’est d’ailleurs Œdipe qui «signe» la préface, l’ouvrage est «un pied de nez au pré-marché trop mastiqué et bien ordonné», écrit-il. Le ton est donné.

En praticien lucide, Casabonne se demande quelle part revient à l’acteur, au metteur en scène, bref à l’individu, dans la création. Larguer l’ego, le différencier du «je», se connaître soi-même, se libérer du moi, faire l’expérience du «chemin creux», lieu par excellence de la rencontre avec soi et ultimement des autres. «Es-tu sûr de toi? demande-t-il. Pour l’être, il faut s’oublier, mourir à soi, passer par l’épreuve du désert.»

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Les réflexions de Casabonne sur l’acteur comme créateur et espace de transmission, le théâtre comme «la mère de toutes les mémoires», se muent en critique acerbe des apparences, de la célébrité et frôlent la démonisation de la mise en scène de soi (par les médias notamment,) qu’il appelle le «marketing de l’être». Malgré la pertinence de certains des propos, l’analyse manque parfois de finesse, l’ouvrage ayant les forces, mais surtout les faiblesses d’un work-in-progress. Dommage, car le brouillon de certains chapitres et constats détourne souvent le propos au lieu de dégager les dérapages certains de la représentation à outrance. Et bien que l’éditeur présente l’ouvrage comme «une bible pour tout acteur, acteur en devenir ou pour celui qui s’intéresse tout simplement au jeu», le lecteur, s’il n’est pas familier avec l’univers théâtral, risque de s’ennuyer malgré le talent de poète de Casabonne.

«Nous sommes en pleine chirurgie plastique des perceptions et des sentiments. Nous sommes trempés jusqu’au trognon de la pupille dans le mythe de Narcisse. L’image, la représentation, trône en reine dans notre société», écrit Casabonne.  

Spectacles en cours

Outre ses talents comme acteur et auteur, Casabonne est aussi musicien et performeur. Il a d’ailleurs pris la guitare le soir de son lancement, le 5 juin dernier au Quai des Brumes, pour interpréter «Le pont du temps», une chanson de son album à venir (extrait ici). Une girafe et un pont combine la musique et le théâtre, double allégeance de Casabonne et reproduit, selon l’expression de leur créateur, deux spectacles-chantiers, c’est-à-dire en mouvements, ni vraiment pièce, ni tour de chant ou roman, mais créations hybrides.

«Mais rien n’est parfait, surtout dans un chantier» écrit-il, et effectivement, si L’inconnu zigzag et Une girafe et un pont plongent davantage le lecteur au cœur de l’univers iconoclaste de Casabonne, l’intérêt est grandement dilué si on ne les lit pas en lien avec Du je au jeu, surtout pour ceux qui sont peu familiers avec son langage et sa poésie.

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