«Je l’appelais Cravate» de Milena Michiko Flasar – Bible urbaine

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«Je l’appelais Cravate» de Milena Michiko Flasar

«Je l’appelais Cravate» de Milena Michiko Flasar

Faire le deuil de la honte, parce qu'on n'est jamais seul

Publié le 19 mars 2014 par Sandra Felteau

Crédit photo : Éditions XYZ

Disponible en librairie québécoise depuis la mi-novembre, Je l’appelais Cravate, publié par les Éditions XYZ, a beaucoup fait parler de lui en Europe. Après 30 000 exemplaires vendus en Allemagne en quelques mois seulement, le roman de l’austro-japonaise Milena Michiko Flasar est désarmant, touchant, lumineux.

En tout, 104 chapitres ponctuent le court roman raconté par un jeune japonais en marge de sa propre vie. Taguchi Hiro, 20 ans, se réveille tranquillement d’une longue quarantaine, après avoir passé plus de deux ans à fixer une fissure sur le mur de sa chambre, limitant le plus possible tout contact avec les autres. Un jour, suite à l’accumulation de honte, de la perte de gens autour de lui et de son incapacité à se conformer à ce que l’on attend de lui, l’adolescent murmure un «je ne peux plus». Et puis, un matin de février, il cède à son manque cruel de soleil et d’air frais, et affronte le monde extérieur.

Toutefois, il serait difficile d’y aller plus tranquillement; son quotidien est encore plutôt monotone, puisqu’il passe ses journées sur un banc de parc, sans bouger, sans parler, sans même manger. Et l’action, dans tout ça? C’est là la grande force de Milena Michiko Flasar: rendre captivant, intriguant, amusant même, un récit plutôt introspectif présentant des sujets très sombres.

En douceur, Taguchi Hiro se laisse approcher par un homme qui l’a rejoint sur le banc, un homme d’affaires qui se retrouve sans emploi après de longues années de service. L’orgueil et le déni de l’homme sont responsables de son habillement plutôt austère pour une journée au parc; c’est pourquoi l’adolescent l’identifie dès le premier jour à la cravate, symbole qui se conjuguera plus tard en objet presque sacré, témoin d’une amitié serrée. Réunis par la honte et le mal-être, tout en choisissant de tendre vers la beauté et l’authenticité, le jeune et le plus vieux se partageront des souvenirs, cherchant à mieux comprendre leur immobilité.

Il faut être patient pour apprécier Je l’appelais Cravate, mais le jeu en vaut amplement la peine. On découvre une écriture dépouillée, loin des clichés, et l’importance des infimes détails qui à eux seuls évoquent une atmosphère, un serrement à la poitrine ou le passage du temps.

«Une douleur perçante dans les yeux, je remontai les murs de ma chambre à tâtons jusqu’à la porte, je l’ouvris d’un coup, je passai mon manteau et mes chaussures, trop petites d’une pointure, je sortis dans la rue et je continuai en longeant les rues et les places.»

Une auteure à retenir et à redécouvrir, Milena Michiko Flasar peint des personnages touchants, réellement imparfaits, qui réussissent à trouver la force de confronter leurs malaises, juste à temps. Mentionnons également le travail magnifique d’Olivier Mannoni, qui l’a traduit pour les Éditions de l’Olivier en France, et qui semble avoir vraiment respecté l’essence et les subtilités du texte.

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