«Je l’ai écrit parce que j’avais envie de vivre» d’Émilie Legris – Bible urbaine

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«Je l’ai écrit parce que j’avais envie de vivre» d’Émilie Legris

«Je l’ai écrit parce que j’avais envie de vivre» d’Émilie Legris

La longue traversée du désert

Publié le 27 octobre 2013 par Annie Lafrenière

Crédit photo : Éditions David

Récit très personnel qualifié de «coup de poing» par le milieu littéraire, Je l’ai écrit parce que j’avais besoin de vivre est un roman à la langue coupante, comme un couteau que l’auteure nous plante en pleine gorge. Dans un français inégal mais soucieux de traduire la complexité et la laideur de la réalité, Émilie Legris nous entretient d’autodestruction, de mal de vivre, de pulsion de mort et de suicide, à travers son personnage semi-fictif d’Aimée. Une longue traversée du désert ayant failli lui coûter la vie plus d’une fois.

Se déployant sur un peu plus de trois années dans l’existence recluse et tourmentée du personnage-narrateur, le récit s’ouvre durement, alors qu’une Aimée âgée de 18 ans nage en plein trouble intérieur:

«J’ai 18 ans, ça fait deux mois que je dors. Je ne veux plus rien savoir du monde qui m’est extérieur. En fait, je ne veux plus rien savoir de moi-même, je ne sais plus rien de moi-même. Qui suis-je? J’ai les yeux bleus, les cheveux bruns, de grosses cuisses énormes et des seins. Yark! (…) Je suis un dépotoir, mes entrailles se contractent, se détractent comme si j’allais accoucher d’une bête sauvage, enragée, d’un être dépossédé et ensorcelé. (…) C’est que, depuis des années, je traîne un chariot de fumier, rempli de mensonges et de déceptions… J’ai comme un couteau enfoncé entre les deux seins. Je ne m’en sortirai jamais…»

Anorexie, boulimie, drogue, alcool, médicaments; tout y passe. «La seule chose dans laquelle j’ai du talent est la dépression», dira celle qui investit beaucoup d’énergie à se faire mourir à petit feu. Diagnostiquée tour à tour schizophrène et personnalité borderline, Aimée vit au bord du gouffre, dans ce corps trop grand pour elle dans lequel elle n’arrive pas à s’adapter. «J’aime mon ventre plat, j’aime ce corps ferme et dur qui me rappelle mon corps d’enfant.»

La jeune femme porte un regard méprisant, presque haineux, sur le monde qui l’entoure, grandement insécurisée par les contacts humains et n’existant qu’avec une sorte de maladresse incontrôlée. Je l’ai écrit parce que j’avais besoin de vivre nous oblige donc à la remise en question permanente, ses pages étant parsemées de critiques sociales corrosives. Qui pourrait toutefois reprocher à Aimée sa lucidité et son cynisme, alors qu’elle atterrit en pleine Amérique latine, durant un stage humanitaire avec ses comparses cégépiens? «Tout le monde est heureux comme des petits pains chauds tendres qui viennent de sortir du four. Ils sont contents parce qu’ils vont pouvoir se vanter à tout le monde qu’ils ont sauvé des petits pauvres dans un pays où il fait chaud et où il y a beaucoup de fruits. Aussi parce que ça paraît bien dans le CV. Ils croient qu’ils vont vivre une grande expérience enrichissante et toute leur famille est fière de leur grand courage. Les étudiants, ils sont toujours comme ça. Ils croient beaucoup à l’évolution de l’humanité.»

Les causes de sa déroute sont nombreuses. L’intimidation vécue à l’école, additionnée à la négligence et au manque de support moral de parents moyennement bien intentionnés sont certes des ingrédients ayant contribué à accroître son mal de vivre. «J’ai commencé à l’âge de 10 ans à me dire que le suicide serait sûrement une bonne solution.» Celle qui fait un «burnout dans son cœur» se retrouvera donc, à l’âge de vingt ans, hospitalisée dans une aile psychiatrique, puis envoyée en désintoxication, et finalement accueillie par son oncle et sa tante, qui prennent soin d’elle «comme d’un bébé naissant», la laissant «vivre et avoir mal» sans rien lui demander en échange. Et c’est ainsi que doucement, Aimée s’engage sur le chemin incertain de la guérison.

Roman lourd sans être indigeste, Je l’ai écrit parce que j’avais besoin de vivre se veut le cri du cœur d’une jeune femme tenace qui apprend, coûte que coûte, à s’aimer malgré tout. À lire si vous avez aimé l’excellent roman Bordeline de Marie-Sissi Labrèche.

«Je l’ai écrit parce que j’avais besoin de vivre» d’Émilie Legris, Éditions David, 2013, 197 pages, 21,95 $.

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