LittératureRomans étrangers
Crédit photo : Éditions Métailié
Nous sommes à Isafjördur en Islande. Áki et Lenita Talbot vivent dans un système où tout le monde peut s’observer grâce aux multiples webcams installées un peu partout, aux drones qui se déplacent, etc. C’est en fait un monde impudique qui dévoile même les plus intimes moments, là où le narcissisme triomphant est poussé à l’extrême. Et ce système a un nom, celui tout simple de surVeillance.
Écrivains, les deux protagonistes du roman ont déjà formé un couple, mais puisqu’il y a rupture, la «communication» se fait désormais par les réseaux sociaux. L’envoi de poke à caractère sexuel constitue la pierre angulaire de leurs échanges. L’immaturité (et aussi la jalousie) est à son paroxysme. D’autres personnages viennent se greffer à ce récit, dont la jumelle de Lenita, Tilda, ainsi que des artistes qui préparent un projet qui va les propulser à l’avant-plan médiatique et faire bouger la société… Sans compter qu’une intrigante histoire entourant la publication des romans de Lenita et d’Áki s’avère tout simplement savoureuse.
Eiríkur Örn Norđdahl ne tombe aucunement dans le ridicule ou le simplisme en proposant cet univers romanesque, qui n’est peut-être pas si lointain du nôtre finalement. Ses personnages s’avèrent certes immatures et avides de reconnaissance, mais aussi complexes, cultivés et étonnants, contrairement aux personnalités sans inhibitions qui mettent en scène leur vie sur Instagram ou Facebook dans la réalité. On discute de littérature, de sa portée et de son devoir, d’écriture de romans, etc.
Force est d’admettre que l’on dévore littéralement ce roman du début à la fin, constatant la forte plume de Norđdahl qui excelle autant dans la forme que le contenu. L’auteur a choisi de construire un récit qui mise davantage sur la présence du narrateur décrivant les personnages, relations entre ceux-ci ainsi que des situations les impliquant. De fait, Heimska – La stupidité ne repose pas tant sur les dialogues, bien qu’ils soient tout de même présents.
En outre, l’écrivain natif de Reykjavik réussit à faire progresser la montée dramatique de l’histoire avec cette fameuse bande d’artistes et leurs acolytes qui souhaitent eux aussi déranger et marquer la société. Il se crée une atmosphère un peu inqualifiable qui imprègne ce livre dès les premières lignes, étrange pourrait-on avancer (pensons au cinéma de Yorgos Lanthimos), mais fort réaliste.
Un univers contemporain dans lequel les êtres humains en prennent pour leur rhume, ce qui n’est pas peu dire.
Heimska – La stupidité, Eiríkur Örn Norđdahl, traduit de l’islandais par Éric Boury, Éditions Métailié, 2017, 160 pages, 27,95 $.
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