LittératureRomans québécois
Crédit photo : Éditions Somme toute
Somme toute a vu le jour en 2013, mais la nouvelle maison d’édition ne cesse de nous étonner avec des propositions toujours plus audacieuses et étonnantes. Et c’est encore plus vrai avec Fines tranches d’angoisse de Catherine Lepage. L’auteure et illustratrice avait déjà publié, en 2007, 12 mois sans intérêt: Journal d’une dépression (Mécanique générale).
Lepage continue de creuser ce fléau, la dépression, qui touchera, à un moment ou à un autre de sa vie, un Québécois sur cinq. C’est dire que l’auteure touche à l’âme même d’un épineux problème social. À l’automne dernier, Stéphane Lafleur et Katty Maurey mettaient aussi en mots et en images la dépression, dans le superbe Mon ami Bao (La Pastèque). Si ce dernier traitait la question de l’extérieur et tentait d’expliquer le phénomène par l’imaginaire, Lepage étale son mal le plus profond pour le mettre à nu et s’en inspirer dans son travail de création.
L’album impressionne autant par la douleur qui émane du propos que la beauté et la jovialité des mots et des illustrations. Nous avons entre les mains un petit album coloré et sensible qui rappelle avec un doux plaisir les albums de notre jeunesse et les cahiers d’écoliers. Avec une simplicité désarmante, qui touche pourtant juste là où ça fait mal, Catherine Lepage accompagne chaque fois une courte phrase ou une question existentielle d’une illustration forte et décalée.
Les méandres de l’angoisse
«Êtes-vous angoissés?», trace l’auteur au crayon de plomb dès la première page. Tout au long de l’album, elle interpelle le lecteur, mêlant ses propres souvenirs et pointant du doigt sa peur du vide. «Dans ces moments-là, j’ai peur de retomber en dépression», écrit-elle, tout en interrogeant le pourquoi du comment de ces phases d’anxiété profonde: «Puisque je connais les causes de mon angoisse, POURQUOI j’entretiens encore ces comportements malsains?»
Le tableau périodique des éléments de réponse est une trouvaille savoureuse, composé exclusivement de carrés contenant la conjonction «si», qui se renvoient à l’infini et finissent inévitablement en queue de poisson. Il exprime à merveille l’impossibilité de prendre une décision quand l’angoisse s’invite dans la danse.
Le circuit de l’angoisse est parcours de l’ordinaire, un élément du quotidien pour l’illustratrice, et même si un chapitre est dédié aux pratiques qui attirent l’angoisse, un autre aux comportements à risque, et un autre, drôle et charmant, sur les «phrases cuculs bonnes à retenir», la force de l’ouvrage de Catherine Lepage réside dans la nécessité de mettre des mots sur des émotions difficiles et une ambiance à trancher au couteau, et cela, elle le fait sans jamais se complaire dans le mal qui l’accable parfois ou la lourdeur associée à ce type de souffrances.
«Émincées et mises en images, les émotions sont tellement plus faciles à digérer», peut-on lire sur la quatrième de couverture, alors qu’un tamia, ou «petit suisse», nous regarde, les joues gonflées de trésors. Pas tout à fait roman graphique ou bande dessinée, Fines tranches d’angoisse renferme les confidences rafraîchissantes de l’auteure dans un monde où nos failles intérieures ne sont pas toujours bonnes à dire.
«Fines tranches d’angoisse» de Catherine Lepage, Éditions Somme toute, 2014, 112 pages. En librairie depuis le 18 février.
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de la rédaction