Littérature
Crédit photo : Owni
Croyez-moi, je suis loin de crier à l’hérésie lorsque je vois dans le métro une personne armée du lecteur électronique en vogue. Étant née la même année qu’Internet, je suis heureuse de voir que le goût de la lecture puisse se propager, peu importe la plateforme utilisée. On aura beau dire que tout peut se trouver sur Internet, c’est le peu de diversité de contenu des catalogues Web qui m’horripile.
Les maisons d’éditions québécoises montrent un retard important au tournant de l’ère numérique. En parcourant les catalogues Amazon et iTunes, on remarque bien vite que les livres québécois sont complètement éclipsés par la marée de bestsellers américains. Si on arrive enfin à trouver le livre québécois souhaité, son prix se rapproche davantage de celui trouvé en librairie. Par exemple, acheter «L’énigme du retour» de Dany Laferrière sur iBooks s’élève à 70 % du prix de l’exemplaire papier comparé à la version numérique du roman «Wild: From Lost to Found on the Pacific Crest Tail» de Cheryl Strayed à 30 % de la copie physique. Branchées par intraveineuse aux subventions gouvernementales, les maisons d’éditions québécoises continuent de bouder une entreprise qui a depuis longtemps fait ses preuves sur le marché. Pendant que les éditeurs attendent sagement la permission de Québec, les grandes corporations américaines et canadiennes se régalent de leur monopole.
Le livre numérique bouleverse non seulement les habitudes du lecteur moyen, mais aussi celles d’établissements entiers, comme les écoles et les bibliothèques. Dans les prochaines années, l’architecture des bibliothèques devra être complètement remaniée pour mieux intégrer la nouvelle réalité du cyberlivre. L’immense popularité de pretnumerique.ca, une plateforme qui permet aux lecteurs québécois d’emprunter des livres numériques en se branchant au site Web de leur bibliothèque, illustre l’engouement pour la lecture sur tablette. Et pourtant, encore aujourd’hui, plusieurs éditeurs québécois ne sont pas enclins à ajouter leurs derniers titres sur ce site Internet, ce qui donne de belles ironies, comme du Michel Tremblay seulement disponible en version anglaise.
Les grandes franchises comme Renaud-Bray et Costco ont réduit leurs prix et tué à petit feu les librairies indépendantes. Fière collectionneuse de livres, je devrais être la première à crier à la tyrannie des magasins à grande surface sur le marché du livre. On montre du doigt les méchantes corporations, alors que plusieurs librairies indépendantes comme la librairie Clément Morin à Trois-Rivières et la Librairie Générale Française dans le Vieux-Québec n’ont aussi simplement pas trouvé de relève pour reprendre le flambeau de leur entreprise. Dans ce cynisme ambiant, j’ai l’impression que les militants pour l’industrie du livre papier se tirent une balle dans le pied.
La survie du livre québécois n’est malheureusement pas un conte de fées. Il n’y a pas de méchant à vaincre et de gentils à protéger. Devant les rapports alarmistes des éditeurs, je constate plutôt un manque d’intérêt général pour le livre d’ici. Nous sommes donc tous un peu à blâmer. Les classiques et les nouveau-nés de la poésie, sans oublier ceux du théâtre, deviennent de moins en moins accessibles parce qu’il n’y a tout simplement pas de demande pour ces genres-là.
Attaquons le problème à la racine: un médium de lecture ou un autre ne garantit pas la mort de celui qui l’a précédé. Si des lecteurs portatifs comme Kindle ou iPad peuvent éveiller le goût pour la lecture comme un livre papier n’arrivait pas à le faire auparavant, nous devrions tous nous en réjouir. Le problème, c’est que la culture québécoise est sous-représentée dans un médium en pleine expansion et demeure ainsi sous l’ombre des grands titres américains. Si les éditeurs tentaient de surfer la vague numérique au lieu de l’endiguer, les éditeurs québécois risqueraient peut-être moins de manquer le bateau ebook.