Littérature
Même si Anna Raymonde Gazaille n’a jamais été une très grande amatrice de polars, c’est tout de même le style qu’elle a choisi pour écrire Traces, son premier roman publié chez Leméac. Après un long détour par les relations publiques, le milieu des arts de la scène et la fondation de la compagnie Montréal Danse, celle qui a lu Sartre, Beauvoir, Camus et Duras à l’adolescence et qui serait certainement copine avec les grandes auteures féministes du XXe siècle a plutôt choisi de faire de ses personnages des enquêteurs du SPVM, qui travaillent et évoluent dans un univers qui nous est plus que familier et, surtout, à une époque où les sites de rencontres, les textos et les iPad n’ont plus rien d’extraordinaire.
«Pour moi, c’était un défi. C’est difficile, se justifie Anna Raymonde Gazaille quand on lui demande pourquoi avoir écrit un polar. Se mettre les tripes sur la table, on peut le faire avec grandeur et intelligence, et c’est extrêmement difficile, mais tout a été dit, tout a été fait. Je prends beaucoup plus de plaisir à raconter des histoires. Et le polar est un genre qui permet à la fois de garder le lecteur pris dans cette histoire, tout en extrapolant et en allant plus loin. On peut parler de la société, y glisser nos propres idées. On peut vraiment en faire ce qu’on veut, c’est un genre très malléable si on respecte la trame de fond, qui est l’histoire policière.»
Traces, donc, met en scène l’équipe d’enquêteurs du SPVM, menée par Paul Morel, alors que celle-ci tente d’élucider le mystère planant autour du meurtre d’une riche femme célibataire dans la cinquantaine, dont le corps a été retrouvé nu, complètement rasé et attaché dans son lit. Aucune empreinte, pas de sang, aucune trace, justement. La seule piste à explorer: elle était membre d’un site de rencontres. Peu de temps après, une autre victime est trouvée ainsi, elle aussi membre d’un site de rencontres. Coïncidence ou modus operandi? D’autant plus que parallèlement à tout cela, une jeune sociologue est victime d’un étrange accident de la route, accident auquel elle n’aurait pas dû survivre. L’objet de l’étude sur laquelle elle était en train de travailler? L’influence des nouvelles technologies dans le quotidien des gens. Ça ne peut plus n’être qu’un hasard, se dit Paul Morel…
L’histoire se déroulant à Montréal, une ville que l’auteure habite et adore, celle-ci est plus que simplement mentionnée dans l’histoire. Elle fait partie intégrante du roman. «Pour moi, c’est presque un personnage, la ville. C’est important d’ancrer l’histoire et les personnages dans la ville. Je suis une fille de la ville, une fille d’asphalte, et c’est important que les gens qui ne sont pas nécessairement des Québécois ou des Montréalais puissent ressentir une certaine appartenance avec celle ville qui a ses défauts, ses humeurs, mais qui est aussi magnifique.»
Si cette description de la ville et de l’environnement crée effectivement un sentiment d’appartenance et de reconnaissance chez le lecteur, le vrai amateur de polar enlevant sera peut-être un peu déçu. Peu de suspense, de grosses surprises ou de revirements de situation inattendus ici. C’est le travail des enquêteurs qui est détaillé plutôt que celui du meurtrier. Meurtrier, d’ailleurs, qu’on connait dès la moitié du roman environ. Ce qui est intéressant dans Traces, c’est effectivement tout ce qui vient autour des meurtres: l’enquête, les questions, les théories, les suspects, les pièces de casse-tête qui s’assemblent lentement mais sûrement. Ce sont aussi les réflexions soulevées par l’auteure sur l’époque et la société dans lesquelles nous vivons. «Quand j’étais étudiante, on allait dans les cafés et c’est là qu’on faisait des rencontres, qu’on pouvait discuter et échanger. Aujourd’hui, tout le monde est sur son téléphone, sa tablette, derrière son écran d’ordinateur», déplore-t-elle.
On sent bien en lisant le roman que celui-ci est surtout un grand plaisir que l’auteure a voulu se faire à elle-même. Mais comme lecteurs, nous sommes aussi bien contents qu’elle ait suivi les conseils de ses amies qui lui suggéraient d’envoyer le manuscrit à un éditeur! Et pendant que nous découvrons sa première œuvre, elle travaille déjà sur les prochaines. «C’est évident que c’est ce que je veux faire, c’est comme ça que je veux passer mes journées. Je ne veux plus de gros jobs, je ne veux plus de responsabilités, plus d’employés. Je ne veux que moi face à la page. C’est la seule vie que je me donne», conclut Anna Raymonde Gazaille en riant.
«Traces», publié chez Leméac Éditeur, est déjà disponible en magasin.
Appréciation: ***½
Crédit photo: Leméac Éditeur
Écrit par: Camille Masbourian