«De bons voisins» de Ryan David Jahn – Bible urbaine

LittératurePolars et romans policiers

«De bons voisins» de Ryan David Jahn

«De bons voisins» de Ryan David Jahn

Triste réalité

Publié le 25 avril 2012 par Éric Dumais

Crédit photo : Actes Noirs

Katrina Marino, une jolie brunette dans la fin vingtaine, se fait poignarder sous les yeux de son voisinage en pleine nuit sur une rue déserte du Queens. Malheureusement pour elle, personne n’intervient. Ryan David Jahn, avec la parution de son roman De bons voisins, tend à dénoncer cette tendance populaire que l’on surnomme l’«effet du témoin».

En réalité, l’histoire de Katrina Marino est inspirée d’un fait divers, le meurtre de Kitty Genovese, un décès tragique qui a marqué l’imaginaire des Américains dans les années 1960. C’est à partir du grand battage médiatique ayant suivi le procès que la notion d’«effet du témoin» est apparue dans le langage populaire. Les gens, lors d’une situation d’urgence, sont moins susceptibles d’intervenir lorsqu’ils sont nombreux à assister à un drame. Triste réalité.

C’est dans l’univers glauque et violent du New York des années 60 que l’auteur américain Ryan David Jahn campe son nouveau récit. À l’instar d’Hubert Selby Jr., qui s’amusait à imaginer des histoires folles dans un Brooklyn plus sombre que l’antre du Diable,  l’auteur, qui a commencé à écrire dès sa dixième année, exploite ici l’agressivité d’une banlieue comme le Queens pour mettre en scène une kyrielle de personnages fortement typés (les voisins de Katrina): Betty, Ron, Peter et Anne, deux couples pratiquant l’échangisme, Patrick Donaldson, un vieux garçon au chevet de sa mère mourante, qui souhaite s’enrôler dans l’armée, Diane Myers, qui accuse son mari Larry d’infidélité, surtout lorsqu’il revient du bowling à 4h du matin, ou encore Thomas Marlowe, qui n’a plus qu’une seule envie, se tirer une balle dans la tête.

C’est ici que la force de l’auteur gagne en points de mérite: il réussit à dresser, avec De bons voisins, un portrait hétéroclite d’une Amérique agonisante en nous présentant tour à tour des personnages gravitant autour de Katrina, la victime. En réalité, ces différents points de vue narratifs agissent comme une bombe à retardement sur les évènements du récit et nous aident à demeurer en haleine au fil des chapitres. Et ce qui est encore plus stupéfiant, c’est que le lecteur entre dans cet univers sombre et tragique au moment même où Katrina Marino se fait poignarder, c’est-à-dire entre 4 heures et 6 heures du matin. Le récit est comme suspendu dans le temps, un peu comme si toutes les horloges de la ville s’étaient arrêtées au même instant.

Roman en grande partie tragique, puisque chaque personnage lutte pour sa survie, De bons voisins est un roman noir tantôt frustrant, tantôt très dur, qui a au moins le mérite de nous conscientiser devant notre innocence.

«De bons voisins»
Actes Sud
270 pages

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