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Crédit photo : Éditions de l'Olivier
Après avoir publié son unique roman sous le pseudonyme de Deborah Fox, où elle révélait le quoditien des révolutionnaires qu’ils avaient été quelques années plus tôt (Marek, Boris, sa sœur Molly, leur mère Mélini et elle), Anna est dans une impasse. Prise au piège au cœur d’un tourbillon de mots qu’elle ne peut – ni ne veut – écrire, l’écrivaine vit au ralenti depuis de nombreuses années. Contradiction, car l’écriture serait pour elle le seul moyen de réparer ce qui a été brisé.
Vingt ans plus tard, Anna est hébergée par sa sœur Molly. Pendant que Molly exerce avec fierté son métier de médecin à l’hôpital, Anna relit ses carnets, écrits au temps de la révolution. Masochiste, elle nous offre au compte-gouttes les bribes de ses cahiers rouges (écrits politiques) et bleus (portant sur son intimité), ainsi que des lettres de Marek envoyées lorsqu’il était en prison et reçues beaucoup plus tard. Des lettres qui ne lui étaient pas adressées.
Geneviève Brisac amène la psychologie de ses personnages au premier plan dans son roman, sans toutefois inciter le lecteur à toujours se ranger du côté d’Anna ou de Molly. D’ailleurs, l’élément le plus fort de l’histoire est sans aucun doute l’inconfortable triangle familial qui divise les deux sœurs et leur mère. Mélini admire beaucoup Molly, sa fille médecin qui sauve des vies, mais sa relation avec Anna est toujours extrêmement tendue. Est-ce que le problème réside dans le fait qu’Anna ne supporte pas le manque d’authenticité et l’hypocrisie, ce qui rend désagréables presque tous ses échanges avec les autres?
Lire «Dans les yeux des autres» implique plusieurs défis: celui d’oublier la linéarité, de s’ouvrir à des formes narratives plus inhabituelles. D’abord porté par une narration omnisciente, le point de vue du récit bifurque graduellement pour finalement laisser transparaître plus clairement les pensées d’Anna, jusqu’à nous faire prendre conscience qu’elle tente de réécrire son premier récit, de se reprendre auprès de ses proches et possiblement de se déculpabiliser de ce qu’ils ont perçu comme une trahison.
Éternel recommencement? Nous ne pouvons quitter le livre sans nous demander comment les gens concernés à nouveau par son récit se comporteront après leur lecture. Un roman intelligent et dense, qu’on aura envie de relire.
L'avis
de la rédaction