LittératureDans la peau de
Crédit photo : Alain Lefort
Yannick, c’est un plaisir pour nous d’avoir un brin de jasette avec toi! On a vu ton nom circuler ici et là –magazines, blogues et revues littéraires– car tu manies avec adresse, et ce, depuis plusieurs années, les chapeaux de prosateur, poète, chroniqueur et critique littéraire, notamment pour Le Devoir, auquel tu collabores toujours. Elle t’est venue d’où cette envie irrépressible de t’exprimer, et d’écrire?
«Le plaisir est réciproque. Merci de m’inviter dans votre bible païenne et d’ouvrir le bal en me lançant des fleurs!»
«La liberté de la page blanche est probablement le premier appel. Cette envie est venue très tôt – dans l’enfance. À l’âge où d’autres apprenaient à dessiner –ce que je n’aurai jamais fait, finalement–, je prenais plaisir à jongler avec les mots, à les faire rimer, à les faire sonner. C’était très mauvais, bien sûr, et ça l’est demeuré longtemps, mais c’est la beauté d’une passion: aucun échec ne peut la décourager.»
«Au fil du temps, à cet amour des mots m’est venu le bonheur de raconter des histoires. De trouver un angle original pour magnifier le plus banal ou, mieux encore, de parvenir à honorer une histoire formidable par ma façon de la raconter.»
«Écrire demeure un immense terrain de jeu. Une façon de partager mes coups de cœur, mon ressenti des événements, ma vision des enjeux, en prenant un pas de recul, non pas pour me hisser au-dessus du monde (surtout pas!), mais au contraire pour parvenir à transmettre ce qui nous remue de la manière la plus fidèle et intelligible possible.»
«J’ai exploré diverses facettes de l’écriture, mais j’ai l’impression d’être encore au début de l’aventure et d’avoir encore beaucoup à découvrir. Explorer, à travers la création et l’écriture, est une ivresse dont je ne pourrais plus me passer.»
En 2021, tu as publié L’horizon des phares aux Éditions Hamac, «un recueil de poèmes d’amour écrits pour apprendre à vivre avec la présence d’un souvenir brûlant», en tout cas, c’est ainsi que l’a décrit Radio-Canada en 2015 au moment où tu étais finaliste au Prix de poésie grâce à ce même ouvrage. Raconte-nous la petite histoire autour de sa genèse, et parle-nous des thèmes qui t’étaient chers à cette époque pas si lointaine.
«Il y a eu plusieurs réécritures entre 2015 et 2021. Plusieurs fois, j’ai pensé abandonner le projet, mais la poésie, c’est aussi une musique, et le recueil est revenu me chercher autant de fois que je l’ai repoussé, comme un ver d’oreille. J’étais vraiment heureux de pouvoir concrétiser le projet avec Anne Peyrouse et l’équipe de Hamac.»
«Au fil des réécritures, les principales lignes de tension du recueil ont bougé. La trame narrative est amoureuse; c’est l’histoire, le liant de tous les éléments du recueil. Je voulais aborder la fulgurance de l’amour et son envoûtement, qui peut faire chavirer les êtres qui manquent d’ancrages.»
«Cela dit, L’horizon des phares est pour moi le récit de trois solidarités.»
«La solidarité amoureuse, d’une part, mais aussi celle des amitiés. Ces gens avec qui tu te dévoiles dans toute ta vulnérabilité, tout en apprenant à faire ta place dans le monde. L’amitié, comme le bonheur d’être ensemble, d’arrêter le temps pour habiter l’existence, mais aussi comme un noyau dur, indestructible, auprès duquel revenir, pour lécher ses plaies ou vivre simplement, sans être obligé de porter le masque du théâtre du monde.»
«Enfin, il y a la solidarité des collectivités. Plus large, donc forcément plus intangible, et pourtant absolument fondamentale pour la suite du monde. C’est à travers le Printemps érable que je l’ai abordée. Parce que cette déferle humaine, vibrante et spontanée, nous a rappelé qu’on n’est jamais seul.e.s. Qu’on est même une sapristi de grosse gang, capable de déplacer des montagnes.»
L’an dernier, les Éditions XYZ publiaient L’île sans pont (Éditions XYZ, 2022), un roman d’une grande sensibilité où ton personnage, Félix, apprenait à faire la paix avec son passé afin d’affronter de nouveaux défis, comme celui d’être père. Rôle que tu connais doublement maintenant! Et à quelques jours de la Saint-Valentin, ton ouvrage Il fera chaud cette nuit: histoires de désir et d’intimité voit le jour. Dis donc, tu n’as pas chômé! Alors, qu’est-ce qui t’a donné l’envie d’écrire des histoires coquines parfaites pour faire monter notre température corporelle?
«J’avais écrit quelques nouvelles érotiques il y a plusieurs années, par défi et par plaisir, et j’avais retiré beaucoup de joie de cette expérience. Je me disais que ce serait chouette de créer un projet qui serait sur cette tonalité (un projet parmi tant d’autres, en jachère dans ma tête).»
«Finalement, c’est la naissance de nos garçons qui a ravivé le projet. La paternité est arrivée dans ma vie comme une félicité, mais le fait d’avoir deux enfants en jeune âge change la dynamique familiale, crée un tourbillon aussi heureux que vertigineux. En prenant des pas de recul, parfois, pour contempler ces nouvelles dynamiques à l’œuvre, et en observant les gens qui, autour de moi, vivaient des situations semblables, j’ai eu envie de me pencher sur certains enjeux. Notre attention, désormais réservée en grande partie à nos enfants, relègue l’intimité du couple au second plan et transforme la façon de vivre la sexualité.»
«J’ai eu envie de m’inspirer de mes expériences et de me laisser porter vers de nouvelles histoires, y allumant le feu du désir.»
«J’en ai retiré beaucoup de plaisir. Au terme d’une journée de travail, il m’est arrivé de me dire : « Tiens, aujourd’hui, je suis allé à la mer. Et j’ai fait l’amour. » J’espère que ce bonheur d’écrire transparaît dans mes histoires.»
Au fil des pages, le lecteur devient le témoin voyeur «de jeunes parents tiraillés tant par le besoin de sommeil que par celui de la peau de l’autre; d’un barman qui reçoit une offrande plus généreuse que tout pourboire; d’un homme dans sa cuisine, qui plie les vêtements de l’aimée et qui renoue avec des souvenirs au goût salé; d’une file d’attente, aux douanes, juste assez longue pour savourer le début des vacances…» Qu’as-tu tenté d’explorer à travers ces nouvelles? Oh et, partage-nous donc un extrait, juste un peu osé, mais pas trop, histoire de titiller notre curiosité… et notre envie!
«J’ai abordé le désir dans un contexte de parentalité, mais la moitié des nouvelles, environ, débordent de ce cadre.»
«Ça peut sembler paradoxal, mais le mouvement #metoo est une des motivations derrière ce projet. Ces témoignages et ces violences m’ont secoué. Lisant et écoutant beaucoup, j’ai réfléchi à mes agissements, à ce qu’on devait changer et au chemin à prendre pour se projeter sainement dans l’avenir.»
«Je ne voulais surtout pas voler la parole de celles qu’enfin on prenait le temps d’écouter, mais j’ai eu envie de créer un espace où un désir réciproque était magnifié et louangé. Pour que la violence et le mépris ne triomphent pas de l’amour et du désir.»
«Voici un extrait:»
«Nos regards étaient fébriles, pleins d’excitation. Il y avait entre nous toute la charge qui nous tirait l’un vers l’autre, le souffle court qui faisait les joues rouges, les yeux ronds.»
«Ta main se crispait sur la mienne, cristallisant cette tension qui précède le passage de la frontière, même quand nous n’avons rien à nous reprocher, comme si nous étions, jusqu’à preuve du contraire, coupables de quelque chose. Tu as allongé tes jambes sur le tableau de bord, en espérant qu’une pause décontractée endormirait tes terminaisons nerveuses. Tes orteils ont accroché le bras des phares : le char pour un instant sur ses hautes.»
«On avançait par petits à-coups, comme un métronome, mettant la traversée de la frontière à échelle humaine. Mon front perlait et me rinçait l’œil. J’avais soif.»
Avant qu’on en vienne aux adieux –façon de parler!– as-tu une petite idée de ce que te réserve 2023 comme projets stimulants et édifiants? Vraiment, ç’a été un plaisir d’échanger avec toi!
«Je dois dire que je me trouve au cœur d’une période très active et je suis extrêmement reconnaissant de ce qui m’arrive. J’espère d’abord avoir la chance de partager, de discuter et d’échanger sur mes livres. Je vous remercie d’ailleurs de me donner la chance de le faire ici.»
«Je poursuis mes collaborations médiatiques, qui me permettent de défendre, de commenter et d’apprécier la littérature et l’art qui animent et inspirent notre vie culturelle. Enfin, ma création se consacrera principalement à trois projets.»
«J’ai d’abord le mandat de créer le volet littéraire du projet artistique multiforme L’aube du solstice. Un ambitieux et inspirant projet d’une installation au cœur du fleuve, qui doit capter les premiers rayons du solstice d’été et faire chanter les baleines. Oui, rien de moins. Un collectif, rameuté par Alain Lefort, photographe et idéateur du projet.»
«De mon côté, je travaille sur deux projets de roman. J’ai très hâte de les développer avec Myriam Caron Belzile, éditrice et humaine hors norme. Le premier a pour lieu principal un bar jazz, installé au cœur d’un quartier qui s’embourgeoise –sorte d’abécédaire jouissif de la vie de service (j’ai travaillé plus de quinze ans dans un bar), rythmé par une partition jazz. .J’essaie d’aborder avec le plus de doigté possible la question de l’embourgeoisement.»
«L’autre roman est une satire sociale écologiste, où la disparition de la dernière abeille crée une commotion internationale. On suit la montée en popularité d’une jeune femme charismatique qui, de Kiribati, tente de sauver l’humanité de sa fin annoncée.»