LittératureDans la peau de
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Véronique-Marie, comment allez-vous? C’est un plaisir de faire votre connaissance! Vous qui êtes native de Toronto et qui avez grandi à Ottawa, où vous vivez toujours d’ailleurs, parlez-nous brièvement de votre parcours professionnel, d’hier à aujourd’hui. On aimerait en savoir plus sur vos aspirations!
«Ravie de répondre à vos questions aujourd’hui! Alors, en ce qui a trait à mon parcours professionnel, tout ce que je peux en dire, c’est que le vent a soufflé comme il le pouvait à ma naissance. Dès la vingtaine, ou même avant, je savais que le reste allait être en dents de scie.»
«J’ai été garde de sécurité, puis commis dans un bureau d’actuaires. Par la suite, j’ai été annonceure de radio et chanteuse d’opéra.»
«En ce moment même, je rédige des textes pour un syndicat. Solidarité!»
À ce jour, vous avez fait paraître une pièce de théâtre pour ados, Afghanistan (2010), le roman Marjorie Chalifoux (2015), gagnant du Prix littéraire Trillium 2017, ainsi que son deuxième tome, Marjorie à Montréal (2021). Et toujours chez Prise de parole, vous avez fait paraître le récit Andréanne Mars (2017). Qu’est-ce qui vous a motivé à donner vie à des personnages féminins – des Franco-ontariennes, s’il vous plaît! – aux questionnements contemporains? Parlez-nous aussi des thèmes qui vous sont chers.
«À l’école franco-ontarienne de mon enfance, comme à l’université, l’analyse de texte me faisait pleurer d’avance.»
«Mais pour vous, chère Bible urbaine, je vais m’en sortir grâce à ce qui a été écrit à ce sujet sur Wikipédia: quête amoureuse, triangle amoureux, mort, dualité linguistique et culturelle.»
«De bien beaux thèmes, assurément, je vous les recommande.»
S’il y a une bien une œuvre centrale dans votre carrière, et ça c’est notre avis personnel, c’est votre série Marjorie, dont le premier tome s’est vu gratifié d’une 2e édition en octobre dernier chez le même éditeur. «Ancré dans l’Ottawa des années 1950, ce récit culotté révèle les désirs secrets de personnages étonnants, et en premier lieu Marjorie, une jeune femme têtue, fougueuse et curieusement irrésistible», peut-on lire sur le site web de l’éditeur. À la base, d’où vous est venue l’inspiration pour cette histoire, et qu’est-ce que cette nouvelle édition offre de plus?
«Faut-il vous dire comment ma petite Marjorie a vu le jour? Elle capoterait si elle l’apprenait, ça n’a tellement pas de rapport avec sa vraie vie de fille toffe et rigolote, pas belle, toujours prête pour une bataille afin d’avoir le dernier mot…»
«Ce jour-là, je n’étais pas particulièrement inspirée. J’étais juste assise sur mon sofa, à regarder dehors. Tout d’un coup, un doux souvenir m’est revenu en mémoire: la bonne tire d’autrefois, la tire Sainte-Catherine, qu’on tirait ensemble à deux mains dans les écoles franco-ontariennes en scandant la phrase culte de l’endoctrinement des petites filles: “Mariez-vous, mariez-vous jeune, mariez-vous catholique”.»
«On ne voulait pas les épouvanter, juste leur éviter l’horreur de «coiffer Sainte-Catherine». Cette expression, en parlant d’une femme — encore jeune, pourtant, aux alentours de 25 à 35 ans —, ça voulait dire qu’elle était célibataire. “Quelle honte, n’est-ce pas?”, croyait-on en ce temps-là.»
«De nos jours, la honte, c’est autre chose. Comme dire des conneries sur Twitter.»
«Mais bon, sur mon sofa, je ne pensais pas du tout à Twitter, mais à la Seconde Guerre mondiale et à ces hommes qui s’en allaient mourir par-delà l’Atlantique, laissant les femmes célibataires de tout âge sans aucun homme à portée de main, et ce, en toute saison. Par exemple, en hiver, quand elles portaient des bottes qui crissaient sur la neige. De bonnes bottes, en beau gros cuir de vache, tenant le coup malgré la sloche.»
«Oui, mais dans les bottes, ça me prenait une fille. Ainsi naquit Marjorie. Et la deuxième édition me fait très plaisir, c’est comme si j’avais accouché d’une jumelle!»
Par curiosité, avez-vous des muses en littérature? Dites-nous si des auteur∙e∙s vous ont inspirée, à un moment ou l’autre de votre vie, à devenir l’autrice que vous êtes aujourd’hui!
«Dans les années 1960, à Ottawa, si je voulais lire, c’est-à-dire tout le temps, il y avait la bibliothèque de mes parents, tous deux profs de littérature française, XVIIe siècle, XVIIIe siècle et XIXe siècle. Les autres siècles aussi, mais moins.»
«Chez nous, il y avait des bouquins partout. À partir du moment où je les ai découverts, je me suis enfoncée là-dedans très fort. Je lisais en profondeur ou en diagonale, et parfois même de travers, aussi, parce que c’était souvent à n’y rien comprendre, ces vieux auteurs. Mais que m’importait! L’essentiel, c’était d’en lire un tout de suite pour passer au prochain ensuite. Et je choisissais n’importe lequel, mais pas n’importe laquelle, vu que, à part les trois «S» — mesdames de Ségur, de Sévigné et de Staël, et une dame de La Fayette — il n’y avait que des hommes dans les siècles littéraires européens nommés ci-haut.»
«Homme ou femme, dans ces romans, personne ne faisait l’amour. Le genre de l’auteur ou de la rarissime autrice n’y faisait rien; pas de sexe avec l’autre sexe et encore moins avec le sien!»
«J’aurais écrit comme ça, moi aussi, si Marjorie n’avait pas tout fait sauter. Bottée, baveuse, connaissant la méthode pour s’envoyer les bons gars francos et anglos d’Ottawa et de Montréal avec, comme consigne, «la fille en premier», elle a changé mon vocabulaire et le rythme de mes phrases, et elle a revampé les espaces intérieurs où s’encroûtaient encore les livres anciens.»
Et alors, quel∙s projet∙s occupe∙nt votre quotidien ces temps-ci? Peut-être travaillez-vous sur l’écriture d’un nouveau roman, qui sait! Dites-nous-en plus, on a envie de garder le contact avec vous!
«Pour mon prochain roman, je branle dans le manche. J’aurais été trop libérée par Marjorie, peut-être? Wô, les moteurs, ça fera, le cul dans tes bouquins? Mais peut-être aussi que je lui dois bien ça, à Marjorie, pionnière d’un certain imaginaire. On verra bien.»
«Pour l’instant, c’est l’hiver à Ottawa. Je n’irai pas pelleter. Mes bottes d’hiver prennent l’eau, la glace et le frimas.»