LittératureDans la peau de
Crédit photo : Melania Avanzato
Régis, c’est un honneur de vous recevoir à cette série d’entrevues pour parler de votre métier, et de littérature, bien sûr. Vous êtes un écrivain français né à Marseille qui, depuis 1985, a publié vingt-six ouvrages, des romans, des nouvelles ainsi qu’une pièce de théâtre. Dès votre jeunesse, ce sont les écrits de Zola, Proust, Flaubert ou encore Kafka qui vous ont fasciné. Dites-nous, comment la littérature a-t-elle fait évoluer l’écrivain qui sommeillait déjà en vous à cette époque?
«C’est un honneur pour moi que ce soit un honneur pour vous.»
«J’ai commencé à écrire avant de lire en quelque sorte. J’ai écrit mon premier livre à seize ans en voyant qu’un livre de Françoise Sagan, Un certain sourire, avait eu beaucoup de succès bien qu’il soit très court. Je me disais que je serais capable d’écrire un texte aussi court. Le résultat fut mauvais et ne fut jamais publié.»
«J’ai fait paraître mon premier livre à presque trente ans. C’est de l’âge de seize ans à celui-là que j’ai lu le plus dans ma vie. J’ai été sans doute influencé par tous les auteurs que vous avez cités et sans doute par les grands auteurs russes. Dans quelle mesure et comment, je ne saurais vous dire exactement.»
Il n’y a pas à dire, vos écrits, souvent rythmés par des mots durs, mais qui rapportent une impitoyable réalité, ont par moments provoqué des ondes de choc. On pense notamment à Claustria (2012), dans lequel vous reveniez sur l’affaire Fritzl, histoire sordide de séquestration et d’inceste s’étant déroulée en Autriche, ou à La Ballade du Rikers Island (2014), roman dans lequel vous évoquiez l’affaire du Sofitel de New York et pour lequel vous avez dû vous défendre en justice. On est curieux: le mois dernier, en entrevue à la librairie Mollat, vous vous êtes qualifié d’écrivain honnête. Alors pourquoi vos écrits dérangent-ils autant le commun des mortels, selon vous?
«Parce que, souvent, les écrivains bercent le lecteur en sachant que la vision de la réalité qu’ils transmettent est mensongère pour offrir à ce dernier une oasis d’optimisme au cours de la lecture de leur livre. Ce serait par ailleurs — comme Artaud le disait — faux et scandaleux de dire que toute la littérature est de la cochonnerie. Mais on va de plus en plus vers l’efficace, la démagogie, l’expression d’une certaine gentillesse pour avoir l’air sympathique dans les médias.»
«Alors qu’on l’est beaucoup moins que moi qui suis adorable — je rigole, comme disent les jeunes. Enfin, pas tant que cela… La malhonnêteté est une affaire de salauds. J’exagère, comme disent les arrière-grands-mères.»
Avec votre plus récente parution publiée aux Éditions Récamier, Dans le ventre de Klara, vous ne faites pas plus dans la dentelle, puisque vous offrez, cette fois, un accès à la tête ou, plus précisément, au ventre de la mère d’Hitler, en racontant l’histoire de la grossesse de Klara, dont le nom de famille n’est, par ailleurs, jamais cité. Qu’aviez-vous l’intention de laisser comme traces ou comme sensations chez vos lecteurs et lectrices?
«Je n’avais aucune volonté de cet ordre. Quand j’écris — c’est là, peut-être, où se situe l’honnêteté que vous évoquiez —, je me soucie d’aller jusqu’au bout de ce que je peux écrire. Je veux atteindre le plus grand degré de perfection que je peux atteindre. Pas la perfection en soi, évidemment.»
«Cela posé, pour ce livre précisément, j’ai eu à l’esprit, tout au long de l’écriture et de mes voyages en vue de l’écrire — notamment dans les camps de concentration et d’extermination nazis — les victimes de la Shoah. Je voulais les respecter. C’était, en fait, ma seule préoccupation. À chaque fois que, dans ce livre, j’abordais ce sujet, j’avais l’impression de manipuler des textes sacrés. Ces textes étant justement les documents fort nombreux des victimes qui ont échappé ou non — un certain nombre d’écrits ont été rédigés pendant les persécutions, on a même retrouvé sous les fours crématoires trois textes écrits par des membres des Sonderkommandos.»
«Les critiques, dont certains membres de leur famille avaient péri dans ces circonstances, ont compris le sens de ce livre. En tout cas, il me semble, d’après leurs articles et leurs réactions sur les réseaux. En revanche, quelques très rares journalistes qui n’ont pas la même histoire familiale ont refusé d’ouvrir ce livre, trouvant qu’on ne devait pas faire de fiction sur la Shoah, au motif — je caricature — que les historiens en parlaient déjà assez.»
«Or, les romanciers apportent et apporteront à l’avenir beaucoup à la transmission de cette tragédie aux nouvelles générations.»
Et en quoi ce regard contemporain que vous posez sur ce pan de l’Histoire du XXe siècle encouragera-t-il nos lecteurs et lectrices à lire votre livre, aujourd’hui?
«À mon sens, un regard contemporain permet de mettre la focale sur des éléments d’aujourd’hui — par exemple, l’oppression de Klara Hitler par son abject mari — qui permettra aux lecteurs, qu’ils soient ou non critiques ou historiens, de s’intéresser avec plus de passion au sujet, de mieux le comprendre que par l’énoncé pur et simple des faits.»
«Cela dit, je ne dis pas que j’y suis parvenu ni que le travail des historiens sur cette époque n’est et ne demeurera pas fondamental.»
On le sait, on s’en doute, on le voit, la vie ne tient souvent qu’à un fil. Ainsi, on s’interroge: si la grossesse de Klara n’avait pas été menée à terme, et qu’Adolf Hitler n’était finalement pas né, comment le XXe siècle s’en serait-il porté, d’après vous? Dites-nous comment on se souviendrait de ce siècle aujourd’hui.
«Il aurait été complètement différent.»
«Si Staline n’avait pas existé, un autre l’aurait remplacé. Trotski, par exemple. Mais sans Hitler, jamais les nazis ne seraient arrivés au pouvoir. Peut-être qu’il n’y aurait pas eu de Deuxième Guerre mondiale, ça n’aurait pas été la même en tout cas. Et il n’y aurait pas eu de Shoah.»
«Ce n’est que mon avis, mais je crois qu’il est partagé par la plupart des historiens.»