LittératureDans la peau de
Crédit photo : Karen Mainville Caouette
Odette, vous êtes bibliste et professeure retraitée de la faculté de théologie et des sciences des religions de l’Université de Montréal. Votre spécialisation s’est portée sur le Nouveau Testament, le Jésus historique et le thème de la résurrection. Expliquez-nous à quel moment vous avez compris que la religion catholique allait occuper une place de choix dans votre vie.
«Dès ma petite enfance et tout au long de mon adolescence, la religion a occupé une place importante dans ma vie. J’étais alors très pieuse et très attachée aux valeurs catholiques traditionnelles.»
«Au cours de la vingtaine, des questions ont cependant commencé à surgir relativement aux données de foi, à l’efficacité de la prière de demande, etc. Or, comme le prêtre revêtait, à mes yeux, la compétence requise en matière religieuse, je profitais de toute occasion propice pour lui soumettre mes questions. Mais les réponses reçues me laissaient habituellement sur mon appétit. Je découvrais progressivement que le prêtre n’avait souvent que des connaissances limitées. Jusqu’au jour où, lors de la visite paroissiale du vicaire, j’adressais encore mes questions et que je ne recevais que des réponses approximatives, je lui dis simplement que je songeais à fréquenter des spécialistes en matière religieuse, en l’occurrence des théologiens; que plus précisément, je songeais à m’inscrire dans une faculté de théologie. J’entends encore sa réponse qui avait surgi comme un cri du cœur: «N’allez pas là, madame! C’est un lieu pour faire perdre la foi». C’était exactement la petite poussée qu’il me fallait de plus pour que je décide d’entreprendre des études à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal.»
«Ainsi, en moins de neuf ans, je traversai le triple parcours du baccalauréat, de la maîtrise et du doctorat, pour entreprendre ensuite ma carrière professorale à la même Faculté. Pour mon plus grand bonheur, j’ai découvert que la théologie, loin de faire perdre la foi, l’épurait et, qu’au contraire, la rendait ô combien plus intelligible. Avoir choisi la théologie a sans doute été la plus importante et la plus gratifiante décision de ma vie.»
Il semblerait que vous êtes également une conférencière «recherchée»! Pouvez-nous nous dire sur quels sujets portent vos conférences et à qui elles s’adressent principalement? Parlez-nous de cette passion qui vous tient tant à cœur.
«Mes conférences se sont toujours inscrites dans la foulée de mes études théologiques. À titre de professeure chercheuse, j’ai eu, certes, l’opportunité de présenter les fruits de mes recherches bibliques dans les milieux scientifiques, sur la scène nationale et internationale, mais aussi et surtout, dans les milieux populaires. Car j’ai toujours cru que ces fruits n’atteindraient leur ultime objectif que dans la mesure où ils deviendraient accessibles au profane, au peuple en général. À cette fin, j’ai dispensé une multitude de sessions de formation, livré des centaines de conférences et animé de nombreuses retraites, en veillant toujours et scrupuleusement à rendre, sans les diluer, ces fruits de la recherche scientifique en langage accessible, celui de l’auditoire auquel il s’adressait.»
«Ainsi, j’ai eu maintes opportunités de présenter, sur différentes tribunes, les lettres de saint Paul, les Évangiles, mais de présenter surtout le personnage historique de Jésus. Qui était donc cet homme? Quel mode de vie a-t-il préconisé? Quelles causes a-t-il défendues? Quelles ont été ses luttes? Que de visages ai-je alors vus s’illuminer! Que de fois ai-je entendu des réflexions du genre: «Si on nous avait dit ça comme ça avant!» J’ose croire, j’en suis même convaincue, que ces entretiens, tout en rendant intelligibles des contenus souvent complexes, ont eu l’heure de libérer celles et ceux qui en ont été bénéficiaires.»
Le 3 juin, vous avez levé le voile sur votre quatrième roman, Le grand cahier de Jérôme, où Jérôme, votre protagoniste, est ordonné prêtre au plus grand bonheur de ses proches. Sauf qu’à son retour en Gaspésie, et au terme de ses études au Grand Séminaire de Montréal, il se heurte à maints obstacles et humiliations… D’où vous est venue l’idée d’écrire cette histoire et pourquoi avoir choisi de placer votre protagoniste sur un tel «chemin de croix», en quelque sorte?
«Dans Le grand cahier de Jérôme, j’ai tout simplement projeté dans le personnage central mon propre cheminement religieux et mes «douloureuses» prises de conscience à l’égard de l’Église institution. Ce cheminement, qui a littéralement emprunté une courbe de la droite vers la gauche, m’a d’abord amenée à défendre des causes bien connues, dont l’accès des femmes au sacerdoce ou encore le droit au mariage des prêtres, et ce, à l’intérieur même de l’Église institution.»
«Par contre, au cours des dernières années, mon questionnement a franchi une nouvelle étape, laquelle consiste maintenant à questionner la fidélité même de l’Église à l’égard de ce Jésus dont elle se dit la porte-parole. Ce Jésus qui a pourfendu un système religieux, le sien, ce qui lui a valu sa condamnation à mort. Or, Jérôme réalise que l’Église a rétabli, dans sa structure hiérarchique, un système analogue à celui que Jésus a décrié. Dans un souci de cohérence, et par fidélité à sa conscience, Jérôme doit donc prendre de sérieuses décisions, que le lecteur découvre à mesure qu’évolue le roman.»
En quoi ce nouveau roman se démarque-t-il de Le curé d’Anjou (Fides, 2011), La fille-mère et le soldat (Fides, 2013) et Julie, droguée et prostituée malgré elle (Fides, 2018), vos précédents écrits? Que ce soit au niveau du profil psychologique de ses personnages, de son thème, de ses péripéties, etc.
«Le curé d’Anjou a présenté sous forme de roman historique, ou plus exactement de biographie romancée, l’histoire de ce curé de ma paroisse natale, Saint-Majorique de Gaspé, qui a été excommunié en 1936 pour ses indescriptibles frasques.»
«La fille-mère et le soldat, un autre roman historique, témoigne du drame des filles-mères jusqu’à un passé récent; ces filles qui devenaient la honte de leurs familles. Or, la fille-mère du roman n’est nulle autre que la sœur de mon père et le soldat, qu’elle devait épouser, mais qu’elle dut éconduire, car il n’était pas le père de l’enfant, était le frère de ma mère. J’ai donc voulu, dans ce roman, dénoncer l’opprobre jeté sur la pauvre fille qui donnait naissance hors les liens du mariage.»
«Quant à JULIE, droguée et prostituée malgré elle, c’est un roman qui tient d’abord et avant tout à présenter l’horreur de la prostitution juvénile, mais qui veut aussi livrer un message d’espérance en montrant qu’il est possible de sortir de cet esclavage, car disons-le franchement, la prostitution juvénile est un véritable esclavage.»
«Finalement, mon dernier roman, Le grand cahier de Jérôme, se veut en quelque sorte le testament spirituel de l’autrice. Comme je l’ai évoqué précédemment, ce roman livre mon propre cheminement. J’ai eu, à maintes reprises, l’occasion de transmettre mes propres découvertes et prises de conscience à l’égard de la religion catholique; dans ce livre, j’ai voulu les compiler par écrit. Et voilà que mon pauvre Jérôme a été choisi pour en porter le fardeau.»
Vous qui avez l’habitude de donner espoir aux gens qui croisent votre route, vous devez être consciente que, depuis la mi-mars, la vie des Québécois a été fortement chamboulée avec l’arrivée de la COVID-19 et toutes les conséquences que celle-ci a eues sur le quotidien de chacun. Qu’aimeriez-vous envoyer comme message pour redonner le sourire à nos lecteurs?
«Que dire de cette fameuse COVID qui n’a encore été dit? Que dire, pour ma part, sinon témoigner de la façon dont je la vis?»
«Bien sûr, j’ai moi aussi éprouvé une réelle angoisse à l’égard de cette terrible pandémie. Mais je dois aussi avouer que, paradoxalement, si ce n’était des ravages qu’elle sème sur son passage et des morts qu’elle entraîne dans son sillage, je vis ce temps de confinement dans une certaine paix intérieure. C’est un temps qui me fait rentrer en moi-même et qui me fait réfléchir sur mes propres valeurs.»
Qu’ajouterais-je encore, comme vous le suggérez, pour faire sourire les gens? À la blague, je dis à mes proches qu’en marchant, en jardinant, ou pendant mes nombreux temps de réflexion, j’en profite pour jaser avec Jésus. Plus sérieusement, je me repose la question, comme j’ai pris l’habitude de le faire dans de multiples circonstances de la vie: «Que ferait Jésus à ma place?»
«Au cœur de cette crise, la question me semble pertinente. Les réponses ne peuvent qu’être constructives et altruistes; ne peuvent que contribuer à bâtir un monde meilleur.»