«Dans la peau de...» Martin Talbot, auteur, scénariste, réalisateur et spécialiste des allégories – Bible urbaine

LittératureDans la peau de

«Dans la peau de…» Martin Talbot, auteur, scénariste, réalisateur et spécialiste des allégories

«Dans la peau de…» Martin Talbot, auteur, scénariste, réalisateur et spécialiste des allégories

«Ma langue étrangère»: un hommage à la beauté de notre langue

Publié le 27 avril 2023 par Éric Dumais

Crédit photo : Julia Marois

Chaque semaine, tous les vendredis, Bible urbaine pose 5 questions à un artiste ou à un artisan de la culture afin d’en connaître un peu plus sur la personne interviewée et de permettre au lecteur d’être dans sa peau, l’espace d’un instant. Aujourd'hui, on s'est glissé dans la peau de Martin Talbot, auteur, scénariste et réalisateur qu'on connaît entre autres pour son film à succès «Henri Henri» et ses romans publiés aux Éditions Stanké. Justement, le 27 avril paraissait «Ma langue étrangère», un roman fascinant au sein duquel un homme se fait amputer la langue. Intriguant, n'est-ce pas?

Martin, on est bien heureux d’avoir un brin de jasette avec toi! Alors, on te connaît comme un vrai touche-à-tout: de la publicité, domaine où tu as travaillé une dizaine d’années, à la scénarisation, la réalisation et l’écriture… Quand tu étais un jeune garçon, rêvais-tu d’un métier, ou ton cœur balançait d’hésitation?

«Quand j’étais petit, j’étais cet enfant hyperactif et fatigant qui voulait toujours faire des pièces de théâtre pour les présenter aux parents. Comme j’étais très manuel, je faisais les décors, les costumes, tout, quoi. Autour de neuf ans, avec mon frère de trois ans mon aîné, on est passé à la vitesse supérieure: on a commencé à tourner des petits films avec sa caméra Super 8. Lui, il s’occupait de la technique, et moi je pensais aux scénarios et je faisais l’acteur. On s’inspirait pas mal des petits films qu’on se projetait.»

«On avait entre autres une collection de courts métrages avec Charlie Chaplin. C’est fou comment il m’inspirait! L’humour à travers ses petits drames et le fait qu’on le rejette, mais qu’il finisse toujours par vaincre, ça nourrissait les histoires que je mettais en scène. Même si j’adorais le cinéma, quand on me demandait ce que je voulais faire comme métier, je répondais toujours vétérinaire (un grand classique chez les enfants de mon époque). Pour moi, le cinéma, c’était juste un loisir.»

«C’est à l’université que tout a changé. Au cégep, j’ai étudié en psychologie (la nature humaine me fascinait). Comme je n’ai jamais aimé l’école, c’est un cadre dans lequel j’avais de la difficulté à évoluer. J’étais toujours dans la lune et je manquais d’attention. Parce que ma mère insistait vraiment pour que j’aille à l’université (c’était comme ça chez moi), j’ai décidé de faire un baccalauréat en cinéma en me disant que je ferais plus tard des études plus sérieuses.»

«Finalement, j’ai adoré ça. J’allais vivre de ma passion. Un de mes meilleurs coups!»

On peut dire sans se tromper que ta feuille de route est pour le moins diversifiée! À la télévision, tu as apposé ta signature sur cinq saisons de Passe-Partout (Télé-Québec) et Les Parents (ICI Radio-Canada) ainsi que la docufiction Ding et Dong: La vraie histoire (Radio-Canada), au cinéma tu es connu pour ton premier long métrage acclamé Henri Henri (2014), de même que tes documentaires URBANIA – Québec en 12 lieux et URBANIA – Montréal en 12 lieux (TV5), et en littérature tu as publié trois romans aux Éditions Stanké. Si tu prends un pas de recul, quels sont les projets qui t’ont le plus fait vibrer durant ta carrière?

«Mon long métrage Henri Henri est jusqu’ici la réalisation dont je suis le plus fier, mais c’est la série documentaire que j’ai faite sur mon père, Le businessman et son blues, qui m’a fait vivre mes plus beaux moments. Avec cette série, je voulais remettre à l’avant-plan l’histoire incroyable du producteur et agent d’artiste qu’il était: c’est l’un des piliers de l’industrie du disque au Québec dans les années 1970. Starmania, Jaune, de Jean-Pierre Ferland, les débuts de Ginette Reno, il est derrière tout ça.»

«C’était surtout l’occasion, pour moi, de connaître mon père. Comme il est mort jeune dans un accident d’avion (il avait 43 ans), je l’ai à peine connu (mes parents se sont séparés alors que j’avais 5 ans. À 13 ans, je suis passé de l’enfant enjoué et créatif à l’adolescent sombre et renfermé. Avec ce documentaire, j’ai fait la paix avec ce père qui m’a tant manqué, mais j’ai surtout réalisé à quel point son absence avait changé ma vie.»

«Ce n’est pas pour rien que la perte est centrale à travers ma création.»

Justement, ton troisième livre, Ma langue étrangère, est paru le 27 avril aux Éditions Stanké, successeur de Cette confusion sera superbe (2022) et Trop-plein (2020), tous deux parus chez le même éditeur. À travers cette nouveauté de 168 pages qui se lit d’une traite, on suit un homme qui sera bientôt amputé de sa langue et qui est à la recherche d’un porte-parole, sans qui il serait à jamais condamné au silence… Cet éclair d’inspiration pour cette histoire pour le moins singulière, il t’est venu d’où, exactement?

«Alors voilà, il s’agit justement d’une histoire de perte. Avec Ma langue étrangère, j’ai voulu mettre de l’avant le récit d’un homme qui va bientôt perdre sa langue et donc la parole. Que deviendra-t-il sans elle?»

«Cette histoire, je l’ai imaginée en pensant à ma propre voix. Un jour, j’avais la langue engourdie. Hypocondriaque de nature, je me suis lancé dans des recherches sur internet. Vous imaginez bien, la première chose qui sort, c’est toujours «cancer»! Ça y est! J’allais me faire amputer la langue! Là, j’ai réalisé que tout ce qui définissait qui j’étais, c’était ma langue. J’aime m’exprimer et jouer avec la langue française quand je parle. Ma langue, c’est tout pour moi.»

«Évidemment, le mal est passé et je n’avais rien. Mais ça faisait quand même une bonne histoire à raconter!»

Dès le premier chapitre, on est vite happé et séduit par le ton humoristique qui recouvre de son voile léger la langue de ton protagoniste, de même que l’ensemble des dialogues. C’est vivant, c’est frais, c’est réfléchi, c’est cocasse, et le style nous a remis en tête les succulents romans Le portrait de la reine d’Emmanuel Kattan et La moustache d’Emmanuel Carrère! Sans tout nous dévoiler, bien sûr – c’est qu’on a des lecteurs et lectrices curieux! – où est-ce que ça nous mène, cette drôle d’histoire?

«C’est flatteur que vous ayez pensé à Carrère! C’est l’un de mes auteurs préférés. Oui, donc, pour ce qui est de l’histoire de Ma langue étrangère, j’ai voulu mettre la beauté de notre langue de l’avant. C’est vrai que j’aime jouer avec les mots, les doubles sens. Je voulais bien sûr parler de notre manque d’indulgence parfois et de notre manque de patience envers ceux pour qui c’est une langue seconde. Il faut la faire aimer d’abord et avant tout pour que les gens aient le goût de l’apprendre.»

L’idée de jouer avec la langue m’est venue tout naturellement. La langue écrite me fascine. Et puis, vous l’aurez compris, j’aime les allégories.»

Et si tu devais te faire amputer la langue à ton tour…?

«Ma douleur à la langue pourrait revenir, vous croyez? Je vous laisse! Je dois aller faire des recherches sur internet au cas où!»

Pour découvrir nos précédentes chroniques «Dans la peau de…», visitez le labibleurbaine.com/nos-series/dans-la-peau-de.

*Cet article a été produit en collaboration avec les Éditions Stanké.

Nos recommandations :

Vos commentaires

Revenir au début