LittératureDans la peau de
Crédit photo : Julie Artacho
Marie-Noëlle, peux-tu nous parler de ton déclic pour le dessin, et quel a été ton parcours en lien avec cette passion?
«J’ai toujours dessiné. Ma mère dessine elle aussi et, enfant, elle m’a beaucoup encouragée à faire des dessins. À l’adolescence, je voulais aller en arts et dessiner! Mes parents m’ont plutôt suggéré d’aller en histoire, et je les ai écoutés. J’ai essayé plein de programmes et, entre-temps, j’ai eu un emploi à la STM. J’avais toujours le dessin en tête, mais je n’osais pas m’inscrire, comme si je n’y avais pas droit.»
«En 2014, à 24 ans, sur un coup de tête, je me suis inscrite au cours d’illustration publicitaire du Collège Salette. C’était un programme qui durait le temps d’un été à l’époque. Suite à ça, je n’ai pas arrêté de dessiner. C’est devenu mon moteur. J’ai eu deux contrats professionnels avant La grosse laide, un livre pour enfants, El viaje de Kalak (Cuento de Luz), et quelques illustrations pour le documentaire Carricks: dans le sillage des Irlandais (Tortuga films).»
Après l’illustration publicitaire, qu’est-ce qui t’a donné envie de te lancer dans le genre littéraire et artistique de la bande dessinée?
«Enfant, je lisais presque seulement des bandes dessinées et des mangas. J’ai lu et relu mes 18 tomes de Sailor Moon sans jamais m’en lasser. Je me souviens qu’à la bibliothèque, j’empruntais des BD sur les cartes de mon frère et de ma mère, la mienne, ce n’était pas assez! Plus vieille, j’ai continué à en lire, mais sans jamais en créer moi-même. Quand j’ai eu l’idée de La grosse laide, je n’ai pas réfléchi au médium. Spontanément, j’ai fait la BD.»
«Je sortais d’un programme d’Écriture de scénario et de création littéraire et j’ai travaillé pendant quelques années dans des clubs vidéos. Je trouve que la bande dessinée est proche du cinéma, peut-être que mes années à écouter des tonnes de films a influencé mon choix. Ma BD, je la voyais comme un film; c’était des scènes pour moi.»
La grosse laide vient de paraître cet automne aux Éditions XYZ. C’est un titre assez punché et un brin provocateur: peux-tu nous expliquer ce choix et en quoi cela reflète ton histoire?
«J’ai retrouvé ce titre dans plusieurs de mes journaux intimes. Quand j’ai débuté le projet, La grosse laide est allée de soi. Je crois qu’il y a eu, pendant quelques instants, Le corps morcelé, mais dans mon coeur, ma BD s’appelait La grosse laide, et rien n’allait me faire changer d’idée. Au-delà du nom du livre, c’est aussi un titre que je me suis mis sur les épaules très jeune et qui m’a suivi jusqu’à l’âge adulte. Grosse et laide, c’est une insulte, un surnom connu, qu’on entend dans les cours d’école, qu’on voit sur les réseaux sociaux; contrairement au mot «grosse», qui ne devrait rien connoter ni rien évoquer de négatif. «Grosse» est, à mon sens, un mot qu’il faut se réapproprier.»
Comment penses-tu que le ou les message.s transmis à travers ton livre vont aider le lecteur à cheminer, notamment au sujet du culte de l’image et des dommages moraux et psychologiques qui peuvent en découler?
«En faisant de la BD, je n’ai jamais pensé à un futur lecteur. C’était mon moyen de guérir ma peine et de mieux la comprendre. Au départ, c’est un processus qui a été égoïste; c’était une question de survie. Oui, j’espérais que la BD soit éditée, mais étrangement, je n’imaginais pas des inconnus en train de la lire!»
«J’ai beaucoup souffert du manque de diversité de l’imagerie qui m’entourait enfant, du culte omniprésent de la beauté homogène, toute pareille. Ma BD permet de le voir de l’intérieur, dans les yeux d’un enfant, et de voir les conséquences qui en découlent. Je crois que mon témoignage permet au lecteur de se mettre dans la peau de quelqu’un qui se sent en marge ou, s’il l’est lui-même, de lui faire savoir qu’il n’est pas seul à vivre ce genre de choses.»
Pour un prochain projet de bande dessinée ou de livre illustré, quel autre sujet aimerais-tu aborder et pourquoi?
«La grosse laide est ma première oeuvre, c’est une autobiographie sur le poids et l’estime de soi, dans laquelle j’ai mis en scène ma souffrance par rapport à mon corps. Maintenant, j’aimerais dessiner pour les autres! Et aussi collaborer avec des amis. C’est sûr que je veux continuer à produire des images qui n’encourageront pas l’idéalisation du corps, le modèle de corps unique. Je veux dessiner pour tous, pour que les gens se reconnaissent, ou pas, il nous faut de la diversité.»
«Ça m’a manqué, jeune, de ne pas voir des corps différents dans les bandes dessinées que je lisais, dans les films que je voyais. J’aurais aimé voir une femme, grosse et bien dans sa peau, qui danse et qui s’amuse.»