LittératureDans la peau de
Crédit photo : Ruby Wroe
Jo, quel plaisir de faire votre connaissance aujourd’hui! On a lu que vous avez été éditrice une douzaine d’années avant de vous lancer vous-même dans l’écriture d’un premier roman. On est curieux de savoir: à quel moment avez-vous eu la piqûre pour la littérature, dans votre vie?
«Assez tard, aussi surprenant que cela puisse être! J’ai suivi une maîtrise d’anglais et d’éducation à Cambridge, mais je n’ai pas vraiment commencé à lire voracement avant d’avoir obtenu mon diplôme.»
«Jusque-là, je lisais ce que j’avais à lire dans le cadre de mes cours à l’école et au collège, mais je lisais ces textes à fond. Il faut dire que la maison dans laquelle j’ai grandi ne contenait pas beaucoup de livres, et je n’avais pas facilement accès à une bibliothèque publique. Alors je ne lisais pas tant que ça.»
«Qu’à cela ne tienne, après avoir obtenu mon diplôme, je suis allée vivre aux États-Unis pendant deux ans. Il y avait une librairie d’occasion géniale située juste au coin de la rue. En tant qu’éducatrice, je travaillais surtout en fin d’après-midi et en début de soirée, ce qui me laissait beaucoup de temps libre dans la journée.»
«Une fois que je suis entrée dans ce magasin et que j’ai tenu un livre entre mes mains, je n’en ai plus jamais reposé un depuis ce jour-là. Et ce n’est pas juste une impression!»
En tant qu’écrivaine, comment définiriez-vous votre style d’écriture, et quelles sont vos sources d’inspiration?
«En tant que conteuse, je considère que mon travail consiste à donner à mes lecteurs ce dont ils ont besoin pour “habiter” l’expérience que sont en train de vivre mes personnages. C’est le but d’ailleurs: plonger le lecteur au cœur de l’histoire. Tout ce qui pourrait éventuellement entraver ce processus doit être mis de côté.»
«J’essaie donc d’éviter les mots obscurs ou bien les phrases alambiquées. Je fais beaucoup de coupes, et je travaille autant que possible pour que les mots que j’utilise soient aussi forts et efficaces que possible.»
«J’aime penser que la lecture d’une histoire se compare à l’acte de boire un verre d’eau fraîche, plutôt qu’une soupe grumeleuse. Cette analogie n’est pas la mienne, mais je crains de ne pas me rappeler de qui elle est!
«Bien sûr, Elizabeth Strout, Kent Haruf, Bonnie Garmus et Claire Keegan sont quelques-uns des écrivains que j’admire et qui illustrent ce genre d’écriture.»
Le 19 octobre dernier, votre premier livre Une terrible délicatesse est paru chez l’éditeur Les Escales. Au fil des pages, on suit l’histoire de William Lavery, un jeune homme qui, au milieu des années 1960, est sur le point de reprendre le flambeau de l’entreprise familiale de pompes funèbres… avant qu’un télégramme lui annonce qu’un glissement de terrain a enseveli une école à Aberfan! Décidé à prêter main-forte aux embaumeurs, il voit alors sa vie bouleversée par cet événement qui révèle les secrets enfouis de son propre passé… Pourquoi avoir eu envie de revenir sur cet épisode tragique de l’histoire du pays de Galles au sein d’une œuvre de fiction?
«Écrire sur le désastre d’Aberfan n’a pas été mon point de départ lors de l’écriture de ce livre. Je faisais à cette époque des recherches sur un projet totalement différent à la bibliothèque de l’Université de Cambridge, et c’est alors que j’ai découvert un compte-rendu sur ces embaumeurs qui se sont portés volontaires lors de la catastrophe de 1966.»
«Peu après cet événement tragique, l’Institut des embaumeurs organisait son dîner dansant annuel à Nottingham lorsqu’un télégramme est arrivé du sud du Pays de Galles. Les hommes sont donc partis immédiatement, quittant leurs vestes et leurs nœuds papillon, et chargeant leurs voitures avec des provisions pour conduire à travers la nuit.»
«L’histoire de ces embaumeurs, ainsi que les actes héroïques à l’égard des autres, aux confins de la détresse humaine, m’a réellement coupé le souffle.»
«L’un des volontaires à qui j’ai parlé m’a confié être parti de sa lune de miel pour aller aider les volontaires. Il m’a alors raconté comment ses tristes souvenirs de cette catastrophe ont fusionné avec ceux où il était quelques instants plus tôt complètement amoureux.»
«Je me suis demandé comment ça aurait pu se passer pour quelqu’un parti prêter main forte, avec son propre sens aigu de la perte, et comment une telle expérience aurait pu l’affecter par la suite.»
«Cela a donné naissance à mon personnage, William Lavery.»
Quelle documentation (archives, articles de journaux, témoignages…) vous a permis de plonger le lecteur dans la catastrophe d’Aberfan avec le plus d’exactitude possible?
«Mon point de départ, ç’a été de parler aux embaumeurs qui avaient été sur place. Je voulais vraiment partager leur point de vue à eux. Alors c’est à travers cette lentille que j’ai observé l’événement. J’ai évidemment passé du temps à Aberfan, parfois seule, parfois accompagnée d’une personne qui était âgée de deux ans lorsque la catastrophe s’est produite.»
«J’ai également interviewé l’un des premiers journalistes et l’un des premiers photographes qui sont arrivés sur les lieux. Bien sûr, Internet a aussi été un excellent outil de recherche!»
«Bien que le roman commence et se termine à Aberfan, on y suit la vie de William durant dix-sept ans, des années au cours desquelles il a été choriste à Cambridge, puis embaumeur en formation à Londres; et, après la catastrophe, il est retourné à Cambridge afin de contribuer à une chorale pour les sans-abris.»
«J’ai passé beaucoup de temps à discuter avec des hommes qui avaient dirigé des chorales dans les années 1950, à des choristes, de même qu’à des maîtres de chœur. J’ai aussi observé le quotidien d’un entrepreneur de pompes funèbres locales pour parler non seulement des détails pratiques, mais aussi de l’impact psychologique causé par son travail. Ce dernier doit faire face quotidiennement à ce que la plupart d’entre nous tentons d’ignorer…»
«J’ai aussi assisté à un embaumement. En plus d’avoir été soulagée d’avoir tenu bon et de ne pas m’être évanouie, j’ai été très émue par tout le respect et la tendresse démontrés à l’égard de la personne décédée, et ce, tout au long du processus.»
Et alors, ces temps-ci, quels sont vos prochains projets littéraires? On est curieux de savoir, entre autres, si vous vous consacrez déjà à l’écriture d’un second roman!
«J’ai déjà bien avancé l’écriture de mon prochain projet! Il faut dire que dix-huit mois se sont écoulés entre la signature de l’accord d’édition pour Une terrible délicatesse et son arrivée sur les étagères des librairies.»
«Mon agent et mon éditeur m’ont tous deux fait savoir que ce serait effectivement une bonne idée de travailler sur le prochain roman durant cette période. Et ils m’ont judicieusement avisée que, si le premier livre marchait bien, il était facile, comme auteure, de croire qu’il était difficile d’en écrire un autre aussi bon. Ils m’ont dit aussi que si je recevais de mauvaises critiques, il était même fort possible que je perdre confiance, du moins assez pour m’essayer à nouveau… Avec un peu de chance, je l’aurai terminé dans deux mois et on verra bien!»
«Écrire un deuxième roman lorsqu’on a un agent et un éditeur, c’est une expérience très différente. C’est plus confortable, mais en même temps c’est plus stressant. Avoir à ses côtés des gens qui souhaitent que vous fassiez au mieux, c’est incroyable, mais la simple pensée de les décevoir est terrible!»
«En plus, j’ai remarqué que ma concentration n’est pas aussi optimale que lors de l’écriture du premier roman. Je blâme ici le confinement et le temps accru passé sur les médias sociaux. Je n’arrête pas de dire que je vais mettre Twitter et Instagram sur un appareil distinct et y accéder que deux ou trois fois par jour, mais… je ne l’ai pas encore fait!»