LittératureDans la peau de
Crédit photo : Tous droits réservés @ Écrits des forges
Germaine, on te connaît notamment comme poétesse, et il ne fait aucun doute que ton écriture est prolifique, puisque tu as déjà plus d’une quinzaine de recueils à ton actif! Peux-tu nous dire à quel moment tu as eu le déclic pour la poésie?
«En 1969, j’ai assisté à un récital où des poètes grecs lisaient de la poésie dans leur langue maternelle à l’Université Concordia. Ils dénonçaient la dictature des colonels en Grèce. Ils sont devenus si émus, si expressifs, qu’ils ont pleuré lors de la lecture de leurs textes. Mon amie grecque m’a résumé un peu le contenu, et alors j’ai mieux saisi l’importance de leurs écrits. Dès lors, je découvrais la force et le pouvoir de la poésie.»
«Plus tard, en 1971, j’ai eu le plaisir de rencontrer Nicole Brossard, qui m’a encouragée à écrire. J’ai publié mon premier recueil, Envoie ta foudre jusqu’à la mort, Abracadabra, en 1977. Depuis, je n’ai cessé d’écrire de la poésie. Je viens tout juste de sortir mon seizième recueil, Derrière la nuit.»
«Lorsque j’écris, je demeure imprégnée par ces poètes grecs. Je sens le pouvoir de la poésie qui amène hors de moi des préoccupations parfois lourdes à porter. Dans mes derniers recueils, cet art est devenu un exutoire possible face aux deuils plus fréquents.»
«La poésie traduit également les enjeux de notre époque; elle dénonce et induit une métamorphose en soi pour survivre et influencer une transformation tant au plan personnel que sociopolitique.»
Tu t’es également fait connaître grâce à tes talents de photographe, et une exposition de tes photos et poèmes s’est tenue dans différentes villes du Québec à l’occasion du Festival international de poésie de Trois-Rivières. Comment ces deux disciplines se nourrissent-elles et se marient-elles dans tes créations?
«J’ai toujours eu l’impression que la photo faisait vivre un poème. Les mots silencieux qui se cachent derrière l’image nous font rêver et parcourir un univers inconnu. Je préfère nettement écrire à partir d’une photo abstraite qui donne à réfléchir et à puiser dans mon imaginaire.»
«La création jaillit d’une rencontre entre l’illustration et la poésie. La fusion entre ces deux médiums crée un terreau stimulant qui touche inévitablement le cœur de l’autrice et celui de la personne qui lira l’œuvre.»
«Dans le cadre du Festival international de poésie de Trois-Rivières, il m’est arrivé d’écrire des poèmes à partir de tableaux d’une artiste. Celle-ci, tout comme moi d’ailleurs, ignorait ce que son œuvre pouvait faire surgir dans l’écriture poétique. Derrière une photo ou un tableau, il y a toujours une partie de soi, témoin tacite, parfois un poème, ou plusieurs…»
Ce 24 mars, ton plus récent recueil Derrière la nuit paraîtra aux Écrits des Forges. Celui-ci invite tes lecteurs à «une réflexion poignante sur la mort». Qu’est-ce qui t’a donné envie d’explorer ce sujet en particulier, et où as-tu puisé ton inspiration pour l’écriture de ces poèmes?
«En fait, je crois que le sujet de la mort est présent depuis ma petite enfance. Pourtant, je n’ai jamais traversé de deuils importants en bas âge. À l’école, lorsque mes amies me parlaient de leurs grands-parents, je leur répondais: “Je suis contente de ne pas avoir connu mes grands-parents, au moins je ne vivrai pas le chagrin de les perdre.”
«Plus récemment, en 2010, mon amie/confidente, ma belle-sœur Andrée, est décédée. Peu de temps après, son mari, mon frère tant aimé, l’a suivie. Je suis restée bouche bée devant ces deux décès. Au beau milieu de la nuit, je me réveillais, trempée de sueurs froides. Soudain, je percevais la mort comme réelle, à mon chevet et non comme une entité lointaine qui viendra un jour.»
«J’ai écrit deux recueils liés à ces deuils: Miroir du levant (2011) et Repères du silence (2013). Plus récemment, j’ai perdu deux autres frères, l’un en 2019 et l’autre en 2020. Ces pertes sont devenues très lourdes à porter. La mort, soudain ma muse!»
«J’ai écrit non seulement à partir de la peine envahissante qui m’affligeait, mais j’ai aussi voulu traduire ma colère et mon impuissance devant les mystères qui surgissent en pareille circonstance.»
«Depuis une décennie, je ressens un vif désir de comprendre le sens même de l’existence. Voilà des questions assez préoccupantes et, disons-le, d’autres poètes avant moi se sont aventurés sur ce territoire. Nous mourons tous dans l’ignorance même de nos origines et de notre devenir.»
Selon toi, que ce soit du point de vue du ton adopté, du style d’écriture choisi ou encore des images évoquées, qu’est-ce qui se distingue le plus Derrière la nuit de tes précédentes publications? On aimerait savoir si tu as senti un changement ou une évolution en particulier dans ta façon de créer.
«Oui, vraiment. Dans mon recueil, Empreintes (2020), une dénonciation, une colère et une impuissance imprègnent fortement mon écriture. Derrière la nuit porte les mots d’un deuil familial où, entre autres, je rends hommage à mes deux frères récemment décédés et à qui je consacre deux chapitres du recueil.»
«La suite des poèmes s’inscrit davantage dans une recherche de sens devant l’inéluctable. J’aborde de façon plus profonde les questions existentielles qui me préoccupent.»
As-tu déjà une thématique et/ou de premières inspirations en tête pour ton prochain recueil de poésie et, si oui, quels sont-ils?
«Je ne sors jamais tout à fait indemne et rassasiée d’une réflexion aussi intense sur les thèmes abordés dans mes récents recueils. Une telle exploration du vide, du néant, de l’absolu ne peut s’arrêter du jour au lendemain. Mes prochains poèmes puiseront sans doute encore dans cet univers, mais bien différemment. De nouvelles prémisses s’installent, donnent une couleur singulière à mon écriture.»
«Déjà, les thèmes suivants surgissent: le silence, la condition humaine, l’environnement, notre place dans la jungle planétaire…»