LittératureDans la peau de
Crédit photo : Julie Artacho
Catherine, bienvenue! C’est un plaisir de s’entretenir avec toi. Histoire d’en révéler un peu sur toi, tu es originaire de la Montérégie, et tu as posé tes valises à Montréal. Ta véritable passion, c’est le dessin, même que c’est elle qui t’a amené, tout naturellement, à devenir graphiste et illustratrice. Étais-tu du genre à aller montrer tes dessins à tes professeurs lorsque tu étais petite fille? Dis-nous d’où remonte ce sens artistique inné!
«Mon père étant un artiste, il m’a toujours encouragé à développer ce talent, et même plus tard, à en faire un métier. Enfant, le dessin était donc l’une de mes principales activités. Ce fut mon premier médium et je lui suis resté fidèle avec les années.»
«Aux gens qui se plaignent de n’être pas bons en dessin: tout le monde est bon en dessin… avec de la pratique. Il faut seulement persévérer et dessiner, encore et encore. Ça m’a pris des années avant d’être pleinement satisfaite et confiante dans mon trait.»
«J’ai peaufiné ma technique avec le temps, mais mon style évolue sans cesse.»
Tes coups de crayon aiguisés et habiles, de même que tes nombreuses introspections, ont certainement aidé à façonner ton imaginaire, puisqu’en 2021, tu as fait paraître Petit carnet de solitude (Station T), un magnifique roman graphique au sein duquel tu abordes sans ambages la peine d’amour. Était-ce pour toi un exutoire pour mieux te reconstruire après un épisode difficile dans ta vie personnelle?
«Exutoire est le bon mot, c’est exactement ça. Je vivais une période tumultueuse et j’avais perdu tous mes repères. Dans l’impossibilité de tout garder en dedans, j’ai eu cette pulsion d’extérioriser mes émotions et de les mettre en mots et en images.»
«Ce fut également une quête pour apprivoiser la personne que j’étais en dehors de mon couple. J’avais presque totalement abandonné le dessin à l’époque, alors m’y remettre a été ardu. J’ai dû redécouvrir l’artiste en moi et lui faire confiance.»
«Le résultat est assez éclaté, mais j’en suis encore très fière. Je suis heureuse d’avoir transformé ma peine en quelque chose de positif. Il y aussi quelque chose de très libérateur à se révéler ainsi. L’accueil du public a été très bon, et j’ai vraiment été émue de voir que les lecteurs se sont sentis interpellés par mon histoire.»
Cette année, les Éditions XYZ ont eu le plaisir d’annoncer, le 20 septembre, la sortie de ton deuxième roman graphique, Je pense que j’en aurai pas, une autofiction où le thème de la non-maternité est abordé par le biais d’images fortes et évocatrices, toujours empreintes de sensibilité. Tu dis, et on cite : «J’ai 37 ans. J’ai 37 ans et je pense que j’aurai pas d’enfant. J’ai pas dit que j’en veux pas. J’ai dit que j’en aurai pas». Parle-nous de ce désir puissant qui t’a donné l’élan de créer ce livre.
«C’est à la mi-trentaine, lorsque j’ai commencé à réaliser que la maternité n’allait vraisemblablement pas faire partie de mon parcours, que l’idée m’est venue d’y consacrer un livre. J’avais l’impression qu’on n’en parlait pas ou qu’on en parlait très peu de ce concept d’être une femme nullipare.»
«Dans la sphère publique, la représentation de la maternité est très tranchée. Il y a les mères d’un côté, majoritaires, et de l’autre, les femmes qui ont décidé de ne pas avoir d’enfants. Il existe cependant une minorité silencieuse dont je fais partie et que je voulais mettre en lumière: les femmes qui n’ont pas d’enfants, mais sans que ça soit leur choix.»
«La nuance peut sembler mince; elle mérite cependant d’être explorée. Il y plein de raisons derrière le fait d’être nullipare involontairement, et surtout beaucoup d’incompréhensions et de préjugés.»
Ton ouvrage contient même une dimension documentaire, puisque tu as récolté les témoignages de femmes nullipares, c’est-à-dire qui n’ont jamais connu l’acte de l’accouchement, ce qui ajoute, il faut le dire, une part non négligeable de réalisme à ton récit. Qu’est-ce qui t’a motivé à aller à la rencontre de ces femmes et à leur accorder cette vitrine pour mieux s’exprimer?
«Il y a plusieurs raisons au fait d’être une femme nullipare: des problèmes de fertilité, des incapacités physiques ou mentales, un mauvais partenaire, le célibat, etc. Mon expérience personnelle est au cœur du récit, mais je trouvais important de présenter les témoignages d’autres femmes pour aider le lecteur à se faire un meilleur portrait de ce choix de vie.»
«Je suis vraiment reconnaissante aux cinq femmes qui ont accepté de me partager leur histoire. Je les ai toutes approchées un peu timidement, conscience que c’est un sujet sensible. À ma grande surprise, elles ont toutes accepté avec enthousiasme et se sont confiées sans retenue. J’ai senti chez elles un réel besoin de se confier. Personne ne leur en parle jamais et ça m’a fait réaliser l’ampleur du tabou qui persiste encore de nos jours.»
«Une femme sans enfant sort de la norme, et ça bouscule.»
Toi qui as pris le recul nécessaire pour bien peser le pour et le contre à l’idée d’avoir ou non un enfant, qu’aurais-tu envie de dire à celles qui, comme toi, voient leur trentaine filer au grand galop sans être pour autant fixée sur cette grande décision? On te remercie pour cette discussion passionnante!
«En lisant mon livre, on peut constater que je suis une grande adepte de l’introspection et de la réflexion. Je conseille donc aux femmes de se pencher sur la question et de bien y réfléchir. De penser aux avenues qui s’offrent à elles et de peser le pour et le contre.»
«De plus en plus de femmes choisissent d’être des mamans en solo. La procréation médicalement assistée peut alors être une option. Mais je crois sincèrement qu’avant tout, il faut remettre en question la notion du bonheur qu’on nous impose (le mariage, la maison et les enfants) et se demander si c’est vraiment ce qui NOUS rendrait heureuses.»
«La réussite et le bonheur sont des notions uniques à chacun.»