LittératureDans la peau de
Crédit photo : Tous droits réservés @ Université de Montréal
Carl, nous sommes heureux de faire votre rencontre! Vous êtes professeur titulaire au Département d’histoire de l’Université de Montréal. Si vous rembobinez vos souvenirs à vitesse grand V, à quand votre passion pour cette discipline, d’après vous?
«Rien de bien original dans mon cas. Comme tant de gens, c’est un professeur qui a suscité ma passion, au secondaire. Son sens de l’humour, son amour de transmettre, sa générosité, sa grande culture, me fascinaient. J’ai terminé le secondaire avec la conviction que je deviendrais historien… mais je me suis tout de même inscrit au cégep en sciences pures! Deux ans plus tard, j’entrais à l’université en histoire.»
«La passion ne s’est jamais démentie. Il n’y a rien de plus extraordinaire, pour moi, que de chercher à comprendre comment les gens du passé donnaient sens à leur existence.»
Au fil de votre carrière, votre enseignement et vos recherches ont majoritairement été axés sur «l’engagement pour la paix et sur les mouvements pacifistes au XXe siècle sous l’angle de la participation citoyenne». Dites-nous ce qui vous a motivé à creuser cet angle, ma foi, fort intéressant?
«C’est au doctorat que l’histoire de la paix s’est offerte à moi, par un heureux hasard.»
«J’ai entamé ma thèse autour d’un enjeu plus technique des relations internationales qui touche aussi à la paix, soit le concept de sécurité collective. Je me suis retrouvé un jour à la bibliothèque d’histoire contemporaine de l’Université Paris Nanterre. En attendant qu’on me transmette un livre, je me suis mis à consulter un vieux fichier index contenant des titres publiés durant la Première Guerre mondiale. J’y ai découvert des centaines de publications touchant à un sujet inusité, soit la façon dont, pendant la guerre, des citoyens envisageaient la paix à venir.»
«Après quelques jours d’intense (mais vraiment intense) réflexion, j’ai choisi de changer de sujet de thèse et d’étudier désormais comment les gens ordinaires pensaient la paix au cœur même du plus grand conflit que l’humanité avait connu alors.»
«Depuis ce moment, l’histoire de la paix a occupé l’essentiel de mon temps de recherche et une partie de mon enseignement.»
Le 25 avril, votre ouvrage La Paix, malgré tout: Un siècle de réflexions et d’actions contre la guerre, avec une préface signée par Jacques Beauchamp – animateur à ICI Radio-Canada –, est paru dans une collection qu’on apprécie particulièrement, «Aujourd’hui l’histoire avec», aux éditions du Septentrion. À travers ce livre, vous proposez d’aller à contre-courant de l’histoire, car au lieu de parler de violence et de guerres, vous mettez plutôt l’accent sur la quête de la paix. Allelulia! Parlez-nous de votre désir d’écrire ce livre et des thématiques qui y sont abordées.
«J’ai eu la chance de participer à une trentaine d’émissions d’Aujourd’hui l’histoire. Quand on m’a proposé de coucher sur papier une dizaine de ces émissions, il m’a semblé naturel d’exploiter l’orientation de plus en plus nette qu’avaient prises mes interventions, c’est-à-dire autour de l’histoire de la paix – un sujet qui est rarement abordé dans l’espace public.»
«Dans cet ouvrage axé sur la paix dans les relations internationales – je ne parle pas des guerres civiles, par exemple – mon objectif est de montrer à quel point le XXe siècle, pourtant le plus violent des siècles, est aussi celui où la paix a été un formidable objet de réflexions et mobilisation.»
«La paix est une émotion, très forte, partagée par l’immense majorité des hommes et des femmes de la planète. C’est aussi une émotion vraie: je rejette l’accusation de naïveté que l’on accole à ceux et celles qui l’empoignent.»
«S’il est vrai que la recherche à tout prix de la paix n’est pas forcément une bonne chose, je ne condamnerai jamais les hommes et les femmes qui en font une valeur suprême.»
Sans nécessairement nous offrir un cours d’histoire 101, quoiqu’on ne dirait pas non!, pourriez-vous nous expliquer brièvement les grandes lignes du désordre mondial de 1919 jusqu’à la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté? Laissez-nous juste assez de surprises pour que nos lecteurs et lectrices aient l’envie d’en savoir plus en se procurant votre livre!
«Le premier chapitre de mon livre est un portrait, qui jette les bases du siècle à venir: quel était l’état du monde en 1919, alors que se terminait l’horrible conflit que l’on a tristement nommé, après coup, la Première Guerre mondiale? Les neuf autres chapitres sont autant d’instantanés de paix, de moments où, à partir d’un cas, il est possible de développer une vision plus large de l’époque et des préoccupations du temps.»
«Mon désir a aussi été de mêler réflexion et action: des chapitres parlent des gestes qui ont été posés par des hommes et des femmes de grand courage – de l’aide aux apatrides à l’action militante pour la paix pendant la guerre du Vietnam, en passant par le combat des féministes pour la paix; d’autres touchent à des symboles et images de paix; d’autres encore se concentrent sur la façon dont la paix (et la guerre) sont pensées.»
«Et un chapitre, plus surprenant, cherche à jauger la sincérité des paroles de paix d’un homme monstrueux, directement responsable de la Deuxième Guerre mondiale…»
Et si vous étiez à la gouvernance d’un pays comme le Canada, quelles sont les premières grandes décisions que vous souhaiteriez entreprendre afin de faire régner plus de paix dans notre société, voire le monde entier? Enfin, l’utopie deviendrait… tangible!
«Grande, très grande question! Un homme politique britannique, réfléchissant aux perspectives de paix après la Grande Guerre, écrivait à juste titre que “la paix est le plus grand des problèmes politiques”.»
«Les guerres ne pourront jamais disparaître, et elles ne sont pas forcément toutes mauvaises: se battre pour mettre à bas un pouvoir injuste et violent ou pour l’émancipation d’un peuple opprimé est une bonne chose. Mais les conflits interétatiques sont pour moi un symptôme de deux troubles: soit ils résultent d’une idéologie mortifère ou de la folie du pouvoir, soit ils sont un symptôme, d’une injustice, d’une iniquité ou une inégalité de distribution de ressources.»
«Le fait que je sois né au Canada plutôt qu’ailleurs sur la planète est totalement dû au hasard: pourquoi aurais-je des droits supérieurs à ceux et celles qui, à cause du même hasard, sont nés dans un endroit moins privilégié que moi?»
«Mieux distribuer les ressources limitées de notre planète, mieux les gérer, combattre l’accaparement et le nationalisme étroit sont pour moi les choses les plus importantes à défendre pour construire un monde (un peu plus) en paix.»