LittératureDans la peau de
Crédit photo : Hamza Abouelouafaa
Ariane, ta carrière d’autrice semble sur une belle lancée avec la parution de ton troisième livre École pour filles aux Éditions La Mèche. Mais avant même d’en parler, on est curieux: où, quand et comment as-tu eu le déclic pour l’écriture?
«C’est drôle. J’ai relu tous mes journaux pendant la COVID, et le premier date de la maternelle, je pense. Il est écrit sur la première page: «Je ne veu pas que ma mère vois tou se que j’aicris. J’aime tous se que j’écris. Tous se que j’écris tous de suite il on fais se que j’aime. Je ne veux pas que ma mère regarde dens mon callier. J’ai resus des cadeaux donner la figurine. Je ne veus pas que tu touche à mais chausse.» Haha! Désolée, ça semble si intense, mais ce que je comprends de ça, c’est que l’écriture a toujours été mon exutoire, c’était là où je disais ce que je pensais tout bas, là où j’avais une parole, un espace de création, de purgation.»
«Je me confiais énormément à mes journaux, c’en est parfois étrange. J’écrivais souvent pour un public, je ne sais pas quel genre, mais dans la possibilité d’un partage, d’une lecture. Après, je suis tombée dans les jeux, j’écrivais des poèmes, des chansons, puis j’ai lu beaucoup, je me suis nourrie dans mes lectures. L’écriture, comme métier, est devenue tangible au cégep.»
Ce plus récent roman présente, sous la forme d’une œuvre chorale, la vie d’un pensionnat pour filles en plein cœur d’une forêt. Chaque personnage semble avoir une personnalité qui lui est propre et contribue au mystère qui règne dans cet environnement à la végétation luxuriante: d’où t’est venue cette histoire pour le moins singulière et quelles ont été tes inspirations pour l’élaboration de la psychologie des personnages?
«Ça faisait longtemps que je voulais écrire un huis clos, aussi, après Feue, j’avais envie d’aller entièrement dans le point de vue féminin, qui est trop peu exploré dans le roman à mon goût. J’avais aussi l’ambition d’écrire un roman d’apprentissage au féminin, d’entrer dans la psychologie de plusieurs adolescentes pour comprendre ce qui se passe dans leurs têtes, en secret. Les prénoms sont venus, le lieu s’est construit (fortement inspiré du monastère à côté d’où j’ai grandi), et puis tous les liens se sont tissés entre ces filles et ces femmes professeures.»
«Aussi, je trouvais très important de lier toutes ces personnes à la nature, qui a aussi une valeur féminine, selon moi, sans tomber dans l’essentialisme. Je m’intéresse plus particulièrement à la manière dont le capitalisme, instance patriarcale par excellence, tente de soumettre la nature et le féminin. Je lis beaucoup d’écrits écoféministes et autochtones dernièrement, et ce lien privilégié à la nature me parle depuis toujours, encore plus actuellement.»
Selon toi, qu’est-ce qui distingue École pour filles de ton premier ouvrage Feue, paru en 2018, qui a notamment été finaliste au Rendez-vous du premier roman?
«Dans Feue, je voulais aller à fond dans les différences de points de vue. Je pense que j’avais des choses à écrire sur le féminisme en milieu rural, que je voulais voir brûler des champs et le conservatisme. Il y avait cet effort de langage déjà présent, ce registre de langue, avec ses patois, ses accents. Avec École pour filles, je pense que j’ai voulu pousser les narrations encore plus loin, dans les méandres des psychologies adolescentes. Il y a encore plus de liberté dans la prose, qui est très poétique, cachottière. Les différentes paroles ont été travaillées de manière plus interne, plus précise.»
«Mais il s’agit encore d’une œuvre polyphonique, parce que ça fait partie de mes désirs d’autrice, de faire parler des communautés. Je pense que le récit laisse plus de place au silence aussi, au lieu qui les entoure, à la forêt. Cet aspect plus hanté de certains passages de la mère dans Feue, j’ai voulu les explorer davantage. Approfondir le pouvoir des paroles profanes, sorcières, et alors peut-être plus féminines. Les thèmes y sont différents également, les communautés féminines ont des dynamiques distinctes de celles qui sont mixtes. Elles ne sont pas étrangères pour autant à la violence ou la sauvagerie qui existent en tout être humain.»
En 2019, tu as participé à deux reprises à des collectifs d’auteur.e.s: celui de Zodiaque à La Mèche et Stalkeuses chez Québec Amérique. Qu’est-ce qui te stimule tout particulièrement dans le processus de cocréation littéraire?
«Je pense que les collectifs aident beaucoup au sentiment d’appartenance et de filiation des jeunes autrices et auteurs. Ces publications nous lient et nous font rencontrer d’autres personnes, en temps réel dans les lancements et les salons, mais également dans l’écriture et la lecture de ses pair.es. Je pense qu’un milieu littéraire sain en est un qui se rencontre, surtout à travers l’art, la discussion.»
«Écrire, après tout, c’est une façon de se rencontrer. Il ne faut pas l’oublier. Avec Zodiaque, j’ai touché aussi à l’édition, et j’avoue que je me sentais extrêmement privilégiée de recevoir des textes aussi personnels et puissants de la part de nos autrices. Je me sentais à bord d’un projet collaboratif important et stimulant!»
Parmi les genres littéraires que tu as déjà explorés, on sait qu’il y a notamment la fiction, la nouvelle et les textes courts. Si tu devais nous surprendre avec un autre style de littérature pour ta prochaine création, lequel choisirais-tu et pourquoi?
«Je m’intéresse beaucoup à la bande dessinée depuis l’enfance. J’ai dévoré les rayons de la bibliothèque Pierre-Georges-Roy de Lévis à l’époque. J’aime dessiner, les arts visuels m’ont toujours interpellée également. J’aimerais faire une BD en fait, mais je juge beaucoup mes qualités artistiques dans ce domaine-là. Et l’ensemble du processus semble demander énormément de travail et je suis plutôt paresseuse, haha! Mais c’est un défi qui m’anime tout de même.»
«Après, je m’intéresse aussi beaucoup à l’écriture scénaristique. Mes premiers «romans» n’étaient en fait que des dialogues et je les imaginais souvent devenir des films. J’aimerais aussi toucher à la scénarisation, car je trouve qu’il y a assez de films de vieux mononcles au Québec, haha! Une scénariste de plus ne fera jamais de mal au milieu cinématographique.»