LittératureDans la peau de
Crédit photo : Nicolas St-Pierre
Anne, on vous souhaite la bienvenue à cette série d’entrevues! Vous êtes historienne et professeure passionnée à l’université Carleton d’Ottawa, en plus d’être une pédagogue novatrice de l’interdisciplinaire. Dites-nous en plus: qu’est-ce qui vous a donné l’élan d’étudier l’Histoire et d’en faire non seulement votre passion, mais aussi votre métier?
«Merci pour cette belle invitation, j’en suis honorée!»
«J’aime beaucoup voyager, transmettre et raconter ce que j’ai vu et appris, et également, je me plais à imaginer des histoires. Vous aurez peut-être deviné que j’aime employer les textes littéraires comme sources historiques et aussi, dans l’enseignement expérientiel, créer des récits vraisemblables en employant la fiction historique.»
«Pour moi, le métier d’historienne, c’est pratiquer une façon de voyager et de découvrir d’autres cultures avec justement, en prime, le plaisir de le raconter. En effet, comme l’ont dit plusieurs avant moi, le passé est un pays lointain!»
«Le métier de l’historienne, tel que je le vois, c’est de faire en sorte que le regard porté sur le passé réponde à une question pertinente pour le présent.»
Vos travaux «explorent l’imaginaire politique québécois, les questions nationales et la narration de la nation». D’ailleurs, le sujet de votre doctorat, complété à l’université Laval, portait à propos de l’histoire des idées sur la refondation dans l’imaginaire et l’identitaire politique au Canada français. Expliquez-nous brièvement ce qui vous intéressait à travers ces sujets d’étude.
«Pendant mon doctorat, je me suis demandé pourquoi, au Québec, on revenait toujours sur les mêmes événements en leur faisant dire des choses différentes selon les contextes politiques et identitaires. En effet, j’ai observé comment des événements qui sont devenus des références pour la mémoire collective et l’identité québécoise dans la narration de la nation ont été réinvestis de façon différente par l’opinion politique et les affects sociaux, même transformés en arguments, mais sans bouger de leur socle “d’événements importants”. 1759, 1774, 1837, 1867, 1918…»
«En ce sens, on a vu des retournements de sens assez intéressants dans l’historiographie! Les Patriotes, par exemple, sont passés de rebelles excommuniés à héros de la démocratie!»
En 2001 et 2009, vous avez fait paraître deux livres, Un discours à plusieurs voix: la grammaire du oui en 1995 (Presses de l’Université Laval, 143 pages) et La rénovation de l’héritage démocratique: entre fondation et refondation (University of Ottawa Press, 340 pages). Voilà que, plus récemment, les éditions du Septentrion ont fait paraître, le 13 février pour être plus exact, votre nouveau livre, De l’hydre au castor: imaginaire et représentations de la Confédération dans la presse de l’Amérique du Nord britannique. Qu’est-ce qui vous a donné l’impulsion de vous lancer dans cette aventure de recherche et d’écriture?
«C’est drôle que vous me demandiez cela, car ce récent livre est aux antipodes du ton employé lors du dernier (2009). C’est un livre pour tous les curieux, et pas que pour les universitaires.»
«Cela dit, il y a une trame commune dans mes intérêts, et cela apparaît clairement grâce à votre question. En effet, ça me fascine d’étudier la pérennité des formes du récit. Quand on a commencé à parler du 150e anniversaire de la Confédération, je sentais qu’il y avait quelque chose à se demander comme Canadien, comme Québécois: “Comment imaginait-on le Canada de 1867 avant son avènement? Le voulait-on, ce Canada-là? Y avait-il des représentations communes de ce pays à venir?”»
«J’ai donc décidé de plonger dans l’imaginaire des futurs Canadiens du passé. Ainsi, j’ai parcouru des journaux, et particulièrement des journaux satiriques imagés, pour essayer de comprendre les peurs et les rêves liés au projet de Confédération en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick, au Canada-Ouest (Ontario) et au Canada-Est (Québec). J’ai trouvé plusieurs images très parlantes!»
Et pour nos lecteurs et lectrices qui seraient intéressé.es de lire votre ouvrage, peut-être pourriez-vous nous expliquer les raisons qui vous ont poussé à visiter l’imaginaire des habitants des régions qui allaient, ensemble, devenir le Canada de 1867? Sans tout nous dévoiler, bien sûr, donnez-nous un simple avant-goût de ce qu’ils vont découvrir au fil des pages.
«Bien sûr! Le livre rassemble et présente les représentations les plus communes de ce qu’allait être le Canada de 1867. Par représentation je veux dire comment exprime-t-on la peur de ce Canada à venir? Par un monstre aux nombreuses têtes? Oui, en effet, l’hydre, ce monstre mythologique à sept têtes, représente un pays dirigé par de trop nombreux intérêts divergents. Le castor, quant à lui, représente un peuple travaillant qui n’hiberne jamais, vraiment.»
«Mais évidemment, et c’est ça qui est intéressant, on peut dire un tas de choses différentes en employant la même structure narrative ou la même image. C’est ce qui se passe ici, dans De l’hydre au castor.»
«On a des figures communes, par exemple, l’idée du mariage forcé entre les provinces, mais les personnages en présence sont différents selon la géographie et l’opinion politique. Il y a néanmoins toujours un officiant, une promise, un galant et au moins un témoin… et toujours une famille et une belle-mère!»
«Qui joue quel rôle dans quel journal et pour quel lectorat? C’est ce que j’explique dans le livre. En outre, certains préjugés et clichés très actuels sur la Ville d’Ottawa et ses fonctionnaires canadiens-français se retrouvent déjà dans les propos et images de 1860…»
En guise de mot de la fin, on aimerait vous proposer de jouer à un petit jeu: si on vous proposait d’essayer une machine à la fine pointe de la technologie vous permettant de réaliser un vœu, un seul, celui de revisiter, pour la durée de votre choix, un pan de l’Histoire, quelle période choisiriez-vous, et quels personnages historiques espéreriez-vous croiser lors de votre aventure… dans le passé de l’humanité?
«Ah! Quelle excellente question. Je suis gourmande et j’en veux toujours plus…»
«Si je m’imagine pouvoir voyager dans un passé lointain, je choisirais l’Antiquité. Je rencontrerais Auguste, Jésus, Marie-Madeleine et Hérode, entre autres, et j’observerais le développement du premier fédéralisme, le fonctionnement du premier recensement et les origines modestes et grandioses d’une secte qui allait devenir la religion centrale du monde occidental pour les siècles à venir, afin de mieux comprendre les héritages grecs, syriens et égyptiens intégrés par les chrétiens…»
«Ou encore, j’aimerais bien me promener comme une pièce de monnaie dans tout le Monde Antique et me retrouver dans une brasserie, un temple, ou au théâtre, tiens, dans la même journée!»