LittératureDans la peau de
Crédit photo : Laurent Gibeault
Alain, tu es chroniqueur et commentateur spécialisé en actualité religieuse, et tu as l’habitude d’intervenir à la radio, notamment à 98,5 FM et à ICI Radio-Canada Première, ainsi qu’à la télévision à LCN, TVA et Radio-Canada. Lorsque tu étais jeune garçon, est-ce le métier dont tu rêvais? Raconte-nous les grandes lignes de ton parcours professionnel.
«Dans ma jeunesse, j’adorais la radio, j’aimais travailler le son dans les studios de technique. J’écoutais les joutes des Expos de Montréal à la radio, et plusieurs stations musicales. Ce médium était constamment présent, mais je n’avais pas rêvé d’en faire.»
«Pour ce qui est de l’actualité religieuse, c’est ma rencontre avec Marie-Ève Garant qui fut importante dans mon orientation. Elle était directrice du Centre d’Information sur les Nouvelles Religions (CINR devenue le CEINR), à la Faculté de théologie et des sciences religieuses de l’Université de Montréal. Elle m’a incité à approfondir mes connaissances en matière de croyance religieuse, ainsi que les fondements de la praxis de l’écoute. Les connaissances acquises en ce domaine m’ont été des plus utiles dans le milieu des médias et celui de l’écriture de mes essais. Ainsi, je me suis retrouvé à posséder quelques outils clés de compréhension des diverses croyances.»
«Ces divers éléments de mon parcours se sont retrouvés réunis lorsque Luc Fortin de la station communautaire 103,3 FM m’a demandé de parler d’actualité religieuse dans un de ses segments radio. Par la suite, les évènements se sont enchaînés, et je me suis retrouvé à commenter les nouvelles religieuses sur les ondes du 98,5 FM.»
Le 3 juin, tu as levé le voile sur Le plus grand secret du Vatican: crimes sexuels et église, paru aux Éditions Fides, où tu critiques sans vergogne «le système du silence mis en place au Vatican qui a mené à l’une des pires dérives de l’Église». Qu’est-ce qui t’a poussé à te documenter sur un tel sujet et à tirer des conclusions sur l’organisation du Vatican que tu qualifies de véritable «omerta»?
«Depuis les nombreuses années où je présente l’actualité religieuse, j’ai été amené à découvrir des histoires scabreuses qui méritaient d’être étudiés attentivement. Le film oscarisé, Spotlight, a été une première divulgation publique importante de l’omerta de l’Église sur la question des abus sexuels, et un élément qui m’a motivé pour étudier avec attention la mécanique du silence.»
«La publication d’un document intitulé Protection des personnes mineures contre les abus sexuels par les évêques canadiens qui semblait déculpabiliser l’Église a également attiré mon attention. On y affirmait que l’Église avait pris conscience du sérieux de la pédophilie dans les années 1985. Cette affirmation ne m’apparaissait pas exacte suivant mes observations. Le Vatican donnait des directives depuis les années 1880 et plus officiellement dans les années 1925 concernant ces abus aux évêques; avec la mention que ces documents du Vatican devaient rester dans les documents secrets des évêques.»
«Le dernier élément décisif pour l’écriture de mon essai fut la réunion extraordinaire sur la protection des mineurs tenue au Vatican au printemps 2019. À cette occasion, plusieurs scandales ont été mis en lumière, dont celui de la destruction des dossiers de plusieurs agresseurs d’enfants au sein de l’Église.»
«Cet ensemble d’éléments m’a incité à porter une attention particulière à cette omerta qui perdure toujours.»
Avec cet essai littéraire qui prend la forme d’un plaidoyer, tu sembles bien décidé à lutter pour qu’il y ait plus de transparence, un concept qui semble cruellement faire défaut à l’Église catholique. Qu’espères-tu provoquer ou «faire bouger» avec les propos recueillis dans ce livre?
«Je ne prétends pas être en mesure de faire bouger les choses. Ce que j’espère, c’est d’établir une forme de dialogue avec la personne qui prend le temps de lire mon livre. Ce que je désire, c’est donner un temps de réflexion au lecteur.»
«Ce que je fais, c’est poser des questions qui peuvent être reprises par quiconque. Mon intention est de fournir des éléments qui pourront permettre aux individus ou à des journalistes de poser des questions pertinentes aux responsables religieux. Le jour où quelqu’un demandera à un évêque si des dossiers privés existent concernant les prêtres pédophiles, ou s’ils ont été détruits, alors on notera un progrès, et si une réponse vient, on aura un début de transparence.»
«Au Québec, les communautés religieuses n’ont pas participé au mécanisme de la transparence demandé par le pape François. Oui, elles ont présenté des excuses, mais qu’est-il advenu des nombreux religieux pédophiles, quelle a été leur sentence canonique? Qui a été jugé, combien de religieux ont été jugés? Aux États-Unis, on publie des listes de prêtres pédophiles; en France, il y a une commission d’enquête qui inclut tant les diocèses que les communautés religieuses.»
En 2018, tu as fait paraître au même éditeur Qui succédera au pape François? Dans les coulisses du Vatican, où tu analysais les probabilités que tel ou tel cardinal soit élu pape à la suite du mandat du pape François. Deux ans plus tard, quelles sont tes conclusions sur ce conclave que tu avais prédit pour 2020-2021 et tes suppositions se sont-elles révélées exactes?
«Peut-être que la pandémie affectera ma prédiction en la repoussant d’un an! Ce que l’on observe, c’est un ralentissement des activités du pape François. À tel point qu’en décembre dernier, aucun voyage officiel hors d’Italie n’était prévu sauf, peut-être, un voyage à Malte, qui ne revêtait nullement le prestige d’un voyage pastoral comme il avait l’habitude d’en faire.»
«On attendait avec impatience la réforme de la Curie vaticane, le moment fort de son pontificat, mais le virus est venu ralentir ce processus. Cette réforme était le mandat que les cardinaux lui avaient donné lors du conclave, pour être plus précis, à celui qui serait élu pape. On s’attend à plusieurs changements importants découlant des nombreuses réunions du comité spécial du pape sur le sujet. Nous sommes toujours dans l’attente de ce document, mais ce n’est qu’une question de mois.»
«Les tractations entre cardinaux et évêques vont bon train, on constate que l’opposition se forme. Le plus bel exemple a été le synode sur l’Amazonie, où les évêques européens ont réussi à empêcher que des hommes mariés puissent accéder au sacerdoce, alors que ceux de l’Amérique du Sud voyaient cela comme une avancée pour l’Église. Ces tractations montrent les différents clans au niveau de l’Église, tel que je l’ai souligné dans mon premier livre.»
Il suffit d’un coup d’œil sur ton compte Twitter pour constater que tu es avide d’actualités générale et religieuse, de gastronomie et même de sport! Si tu avais à rédiger un tweet adressé à une personnalité en lien avec un sujet chaud de l’actualité, qui serait-elle et qu’aimerais-tu lui dire en plus ou moins 140 caractères? Les hashtags sont permis!
«Les sujets chauds en actualité foisonnent: réchauffement climatique, utilisation abusive de pesticide, insecticide, famine, désertification, racisme, aide médicale à mourir, guerre, terrorisme, pauvreté, politique… nous sommes constamment traqués par la nouvelle. La personnalité la plus importante reste la personne inconnue que je croise sur mon chemin; à cette personne, je lui écrirais, par Twitter: Eh vous, comment ça va? Tout en m’attendant à une réponse sincère et détaillée.»