LittératureCroisée des mots avec
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Isabelle, on est ravi de jaser avec toi pour la toute première fois! Tu sais, on adore ça découvrir de nouveaux visages de la francophonie! Toi qui es originaire de Val-d’Or, titulaire d’un doctorat en lettres françaises de l’Université d’Ottawa, et aujourd’hui éditrice de la revue Relations, on peut dire sans se tromper que ton cœur a toujours vibré pour les littératures québécoise, autochtone de langue française, acadienne et franco-canadienne. Parle-nous donc de cet amour profond que tu éprouves pour la langue française et de la façon dont elle a marqué ton parcours professionnel?
«C’est un cours de français destiné à la littérature québécoise que j’ai suivi au Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue à Rouyn-Noranda qui m’a convaincue de faire un baccalauréat en études littéraires, dans l’objectif de devenir enseignante au collégial.»
«Je crois que la littérature, et la langue qu’elle véhicule, sont des outils qui permettent de former des citoyen·nes informé·es, mais aussi d’entrevoir d’autres mondes possibles.»
«Si je fais un saut dans le temps, c’est au début du programme de doctorat que je me suis familiarisée avec les variétés de français de l’Ontario, et ensuite de l’Acadie et de l’Ouest, plus précisément du Manitoba. Cela m’a permis de me sortir de ma vision “québécocentrée” de la langue.»
«Je suis attachée au français, mais je suis convaincue que nous devons adopter une posture plus inclusive par rapport à celle-ci, qu’il s’agisse de ses variétés, de ses registres, de l’accent, ou encore sur le plan de l’écriture non genrée.»
En septembre 2018, tu as fait une entrée remarquée sur la scène littéraire avec Des mines littéraires – L’imaginaire minier dans les littératures de l’Abitibi et du Nord de l’Ontario, publié chez Prise de parole. Dans cet essai, tu explores l’imaginaire minier, ainsi que la notion du territoire, en analysant des œuvres phares de notre pays, signées Jean Marc Dalpé, Jocelyne Saucier, Jeanne-Mance Delisle et plusieurs autres. Qu’est-ce qui t’a donné l’impulsion, à cette époque pas si lointaine, de plonger tête première dans cette étude en particulier?
«Cette question me ramène à une soirée bien arrosée, alors que je rédigeais mon mémoire de maîtrise à l’UQAM. Le scotch aidant, un·e ami·e qui envisageait d’aller faire son doctorat à l’Université d’Ottawa m’a convaincue de poursuivre des études doctorales. Je me suis donc donné pour mission de trouver un sujet de thèse qui me porterait pendant quatre ans: pas question de faire un doc sans passion!»
«Lors d’un séjour chez mon père à Val-d’Or, je suis tombée sur une petite anthologie des incontournables de la littérature abitibienne, et je me suis dit qu’il serait bien de faire une première étude fouillée de ce corpus.»
«La question des mines s’est un peu imposée d’elle-même, puisqu’elle traverse plusieurs œuvres, et j’ai profité de ce sujet pour explorer un corpus que je pressentais proche de celui de l’Abitibi et que je ne connaissais pas du tout à l’époque, la littérature franco-ontarienne du Nord.»
Et en octobre dernier, les Éditions Prise de parole ont levé le voile sur Trash – Une esthétique des marges dans les littératures francophones du Canada, un essai pour le moins fouillé sur une esthétique qui, selon toi, dépeint les marges en littérature. Pour aller au fond des choses, tu offres donc une lecture comparée d’œuvres marquantes de Marie-Andrée Gill, Patrice Desbiens, Victor Lévy-Beaulieu, Martin Pître et Charles Leblanc, entre autres choses, puisées çà et là dans les corpus autochtone, franco-ontarien, québécois, acadien et franco-manitobain. Tu affirmes que le trash et la marginalité sont intrinsèquement liés et qu’ils sont tous deux le produit d’une inadéquation à la norme, en plus d’évoquer un rapport inégal au pouvoir. Peux-tu nous faire un petit exposé des grandes lignes de ton ouvrage pour donner l’envie à nos lecteurs et lectrices d’aller approfondir le sujet?
«Avec ce livre, je souhaitais aller au-delà des présupposés que l’on a trop souvent à propos du trash.»
«Au fil de mes lectures, mais aussi de mes conversations, j’ai réalisé que le trash est, la plupart du temps, un impensé. J’ai donc voulu aller à l’encontre de cette tendance en réfléchissant le trash, à partir de travaux phares liés à différentes disciplines, qu’il s’agisse de l’anthropologie, de la philosophie, de la sociologie, ou encore de l’économie: c’est là l’objet de mon premier chapitre, qui jette les bases d’une véritable théorisation du trash.»
«À partir de ces balises, j’étudie le trash dans les littératures francophones du Canada dans les chapitres subséquents, et chacun de ces ensembles littéraires vient apporter sa couleur à l’esthétique trash. Les facettes du trash que j’aborde sont multiples, qu’il s’agisse de l’art brut, de la représentation de déchets humains, du waste colonialism, ou d’une écriture pornographique.»
Malgré le fait évident que la langue anglaise prédomine dans un pays aussi vaste que le Canada, qu’on se le dise, la littérature franco-ontarienne a toute sa légitimité dans le milieu littéraire francophone, bien sûr au Canada, mais aussi à travers toute la francophonie. Aurais-tu la gentillesse de nous présenter trois auteurs ou autrices de l’Ontario français et leurs œuvres, afin de donner un bel avant-goût de nos talents francophones à nos lecteurs et lectrices?
«Je sais qu’il n’a plus besoin d’être présenté depuis longtemps, mais Jean Marc Dalpé figure parmi les auteur·es qui me viennent spontanément à l’esprit. J’ai adoré sa pièce La Queens, qui traduit à merveille l’esprit des petites villes du Nord de l’Ontario.»
«Je suis aussi une très grande fan de la dramaturge Anne-Marie White, je pense particulièrement à sa pièce Déluge, très éclatée, qui détonne sur la scène théâtrale franco-ontarienne.»
«Enfin, l’appartenance au corpus franco-ontarien du prochain auteur ne fera sans doute pas l’unanimité, car il habite à Gatineau, mais je crois que les frontières sont poreuses dans cette région et que le fait qu’il ait publié l’essentiel de son œuvre à L’Interligne témoigne de son engagement envers la littérature franco-ontarienne. Je parle de José Claer, à qui l’on doit l’excellent recueil Mordre jusqu’au sang dans le rouge à lèvres, œuvre à la fois trash et trans dont je parle dans mon essai.»
Le 5 décembre prochain, à 19 h, tu seras la quatrième invitée de l’animateur Hugues Beaudoin-Dumouchel à l’occasion de la causerie littéraire gratuite Croisée des mots, présentée par l’AAOF et le Salon du livre de Sudbury. Chaque mois, via la plateforme Zoom, les amateurs et amatrices de littérature franco-canadienne découvriront, en direct de leur chez-soi, de nouveaux visages de l’Ontario francophone. Qu’aurais-tu envie de dire, comme mot de la fin, pour convier le public à cette rencontre-discussion d’une heure?
«Le format proposé par la Croisée des mots est idéal pour approfondir ce qu’est le trash, puisqu’il permet des discussions plus poussées que les entrevues qui ne laissent pas autant de place au déploiement de la pensée.»
«Le propos vulgarisé au possible que je tiendrai lors de cet événement sera une bonne introduction à mon livre: la participation à cette causerie permet certainement de rendre potentiellement moins “intimidante” la lecture d’un livre qui demeure un ouvrage conçu dans un contexte universitaire.»
«Enfin, je suis d’avis que la discussion avec l’auditoire peut mener à l’exploration de pistes qui n’ont pas nécessairement été abordées dans le livre, ce qui correspond bien à l’esprit du trash, dynamique, fuyant et pluriel, et qui ne saurait être enfermé dans les livres.»
«C’est aussi une belle occasion de réfléchir avec les gens, qui seront invités à tester leurs propres hypothèses, car plusieurs ont leur petite idée sur le trash.»