Critique du roman «Un été sans les hommes» de Siri Hustvedt – Bible urbaine

LittératureRomans québécois

Critique du roman «Un été sans les hommes» de Siri Hustvedt

Critique du roman «Un été sans les hommes» de Siri Hustvedt

Publié le 16 septembre 2011 par Éric Dumais

C’est suite à la parution de son roman Tout ce que j’aimais (2003), grâce auquel elle a remporté le prix des Libraires du Québec, que Siri Hustvedt a acquis le statut de grande écrivaine de sa génération. Née aux États-Unis en 1955 et actuellement résidente de Brooklyn, Siri Hustvedt a depuis écrit bon nombre de livres, dont Élégie pour un américain (2008), Plaidoyer pour Éros (2009) et La femme qui tremble (2010), avant de donner naissance à Un été sans les hommes, une fiction féministe de grand augure.

« Trente ans, c’est long, et un mariage s’enracine, prend un aspect presque incestueux, soumis au rythme complexe des sentiments, du dialogue et des associations. Nous étions arrivés au point où une histoire, une anecdote entendue lors d’un dîner faisait naître simultanément la même pensée dans nos deux têtes, et la question était simplement de savoir qui de nous deux l’exprimerait à haute voix. »

Mia se retrouve confrontée au vide de l’existence lorsque son mari, Boris, un neuroscientifique de renom, la quitte brutalement pour une femme plus jeune qu’elle. Désillusionnée et profondément blessée, la poétesse, à l’orée de la cinquantaine, décide de tourner le dos à ses souvenirs new-yorkais et de renouer avec ses racines dans son village natal à Bonden, lequel est situé à un jet de pierre de la maison de retraite de Laura, sa mère, dans le Minnesota. Sur place, elle fait la rencontre de Lola, une jeune femme aux prises avec un mari instable, avec laquelle elle développera une belle complicité. Partagée entre la sphère d’octogénaires gravitant autour de sa mère et les sept jeunes filles auxquelles elle enseigne la poésie dans un atelier littéraire, Mia tente de retrouver un sens à sa vie, dans un monde où l’humanité ne tient malheureusement qu’à un fil.

Un été sans les hommes met en scène une femme fragile et instable, blessée au plus profond de son cœur par la liaison adultère de son mari, avec lequel elle était mariée depuis 30 ans. Chaque page lue peut se comparer à un volet intime de la vie de Mia, que l’on tourne mécaniquement pour accéder, comme lecteur-voyeur, à la suite incongrue de ses pensées, de ses tourments, voire de ses nombreux questionnements. Mia est une poétesse d’expérience qui a aiguisé son sens de la raison; elle a appris, par la poésie, à relativiser les évènements de la vie et à les figer sur place, comme un corps anesthésié étendu sur une table d’opération, afin de les décortiquer et de les analyser à cœur ouvert.

«Perte.
une absence connue.
si on ne la connaissait pas,
ce ne serait rien,
et ce n’est que cela, bien sûr,
un rien d’une autre espèce,
ressenti aussi vivement qu’une écorchure,
mais un tumulte, aussi,
dans la région du cœur et des poumons,
un vide qui porte un nom : Toi.»

Le récit se tisse à travers les péripéties et les souvenirs épars du protagoniste, ce qui lui confère un caractère non linéaire plutôt déconcertant. Sans partie ni chapitre, la fiction se savoure selon l’humeur du personnage (ou de l’auteure); parfois on progresse avec Mia au gré de ses souvenirs, parfois on se retrouve en tête à tête avec sa psychologue, la sympathique Dr. S.; à d’autres moments, on est plutôt transportés à Bonden, puis au Minesotta, ballotés entre les ateliers littéraires auxquels elle participent et les conversations ludiques entre sa vieille mère et ses amies.

Si Un été sans les hommes est conçu comme étant un roman poétique instruit et organique, il n’est cependant pas dépourvu de complexité. L’écrivaine a fait usage d’un langage soutenu, savant, où chaque mot est minutieusement calculé et auréolé d’une fine poésie, ce qui peut parfois rendre la lecture lourde et impitoyable pour certains lecteurs. Les littérateurs y trouveront assurément leur compte, alors qu’un lectorat un peu moins expérimenté y verra, quant à lui, une raison de plus pour persévérer, ou baisser les bras.

L’auteure possède, en somme, une plume incroyablement bien maîtrisée, d’une énergie et d’une véracité à rendre jaloux les plus grands poètes de notre siècle. Elle plaira assurément aux êtres sensibles, aux adolescents, aux hommes, mais surtout à toutes ces femmes qui, un jour, ont vécu un grand chagrin d’amour.

Appréciation générale: ***

Crédit photo: Leméac Éditeur

Écrit par: Éric Dumais

Vos commentaires

Revenir au début