LittératurePoésie et essais
Crédit photo : Les Éditions du Septentrion
D’emblée, on nous propose dans Chroniques des arts de la scène un éventail de textes qui nous permettent de mieux nous situer pendant cette période bien précise du XXe siècle. Le premier chapitre fait un «État des lieux» de la presse montréalaise à ce moment-là. On parle ici des journaux Le Canada, Le Devoir, The Gazette, The Montreal Star, La Patrie ainsi que La Presse. La mise en contexte est complète: politique éditoriale, orientation politique, place accordée à l’information culturelle, couverture des secteurs artistiques, etc.
Le deuxième chapitre, quant à lui, nous fait pénétrer dans l’univers de la critique avec «Quand les critiques jettent un regard critique sur leur propre métier (introduction à l’anthologie)» par Dominique Garand. On y découvre avec délectation la construction d’un certain éthos du critique. S’ensuit une «Anthologie de textes autoréférentiels», des textes publiés dans lesquels les journalistes expliquent leurs visions de la critique, de son rôle, de son importance et de son rapport avec le public notamment. Plusieurs hommes exposent leur conception du métier qu’ils exercent, dont Thomas Archer, critique musical à The Gazette, Jean Béraud de La Presse et Henri Letondal.
Sur le plan formel, le tout est écrit dans un style clair et sans esbroufe – puisque ce n’est pas l’effet recherché ici. En réalité, le livre s’adresse plutôt à des lecteurs qui s’intéressent déjà aux recherches sur l’histoire de la presse, des arts et de Montréal.
L’étude la plus fascinante sur le plan de la modernité artistique et de la réception critique est sans aucun doute celle de Marie Beaulieu, intitulée «Accueillir la modernité avec Mary Wigman». La venue de cette chorégraphe dans la métropole en 1931, que l’on qualifie de «pionnière de la danse expressionniste allemande», est évidemment un terrain fertile pour faire ressortir les visions des critiques à propos d’un changement de paradigme en danse. L’œuvre déroute plusieurs critiques, surtout puisque la musique et la danse ne s’harmonisent plus de manière traditionnelle. On nous fait bien comprendre, à l’aide d’extraits de journaux, que la critique est divisée, car l’artiste a ébranlé le temple de sa discipline artistique.
Il est impératif de relever que le degré de compréhension du lecteur varie selon le bagage et les connaissances de celui-ci. Sans aucun doute, si l’on s’intéresse à la culture en général, mais que l’on a très peu de connaissances sur le plan musical (les bases de la musique et les termes associés), les chapitres 7 «Les chroniqueurs et les œuvres musicales nouvelles dans la presse québécoise (1919-1949). Quel discours?» de Marie-Thérèse Lefebvre et 8 «La musique religieuse dans Le Devoir, 1919-1944. Le paradoxe de Frédéric Pelletier» de Jean-Pierre Pinson s’avère plus ardu par moments.
Cet ouvrage universitaire fort bien documenté (de nombreuses références et plusieurs extraits d’articles de journaux) nous éclaire certes sur la pratique de l’opinion sur les arts de la scène, mais nous fait découvrir de nombreux éléments qui régissaient l’époque de l’entre-deux-guerres. L’Église, la culture de masse qui se répand grâce au cinéma et la radio, l’emprise des Américains dans la propriété des salles de diffusion ainsi que la crise de 1929 en sont des exemples. Au final, les chroniqueurs et critiques agissent comme témoins des bouleversements sociaux, politiques, et n’oublions pas aussi, culturels.
«Chroniques des arts de la scène à Montréal durant l’entre-deux-guerres – Danse, théâtre, musique», sous la direction de Marie-Thérèse Lefebvre (avec la collaboration de Marie Beaulieu, Dominique Garand, Hervé Guay, Lorne Huston et Jean-Pierre Pinson), Les Éditions du Septentrion, 2016, 328 pages.
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