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Crédit photo : Éditions Gallimard
Denis est un écrivain plus ou moins accompli lorsqu’il fait jour et se transforme, avec son maquillage, ses souliers aiguilles et ses faux seins, lorsque le soleil se couche, en Denise, une danseuse au cabaret L’Ulysse. C’est d’ailleurs à cet endroit qu’il dit se sentir le mieux dans sa peau (mais est-ce qu’on y croit vraiment?). Il est marié à Hannah, la fille de Véronica et de Paul, avec lesquels il avait eu un arrangement pour le mariage étant donné qu’il «l’avait fichue enceinte». Inutile de dire qu’il ne l’aime pas vraiment et, de toute façon, Djian, avec son écriture assez directe, nous le fait carrément savoir: «Je n’avais pas une once de véritable amour à lui donner». Ce qui réjouit Denis, c’est que son beau-père lui louera un appartement avec un bureau pour son emploi d’écrivain, ce qu’il n’a jamais eu les moyens de s’offrir.
Mais Paul, le beau-père mafieux, a une idée derrière la tête: celle d’endurcir et de transformer son beau-fils, parce que lui, les faux cils et les minijupes pour un homme, il n’accepte pas cela. Pour ce faire, il viendra s’installer avec sa femme en-dessous de l’appartement de sa fille et de son gendre. C’est à partir de ce moment précis qu’on sentira une rivalité éternelle entre les deux hommes, et c’est autour de cette histoire que s’écrit le roman, en plus d’une attirance sexuelle entre la belle-mère et Denis, sans oublier une liaison professionnelle forcée entre ce dernier et un mafioso homophobe. Un peu décevant quand on s’attend à lire une histoire parallèle entre un homme et un travesti (ce que la première du livre nous montre pourtant clairement)… Mais le récit demeure toutefois adéquat, sans plus.
En plus d’être écrit en deux seuls chapitres (dont le dernier ne fait que les quelques dernières pages du livre), ce qui ne laisse pas la chance au lecteur de respirer, le roman n’est ponctué que de points et de virgules; pas de points d’exclamation ni de points d’interrogation. De plus, les dialogues sont directement intégrés dans le texte continu, donc pas de tirets et de guillemets non plus, laissant le lecteur en faire sa propre intonation. C’est une particularité (très particulière, disons-le!) des œuvres de Djian. On pourrait presque croire à un monologue.
Ce qui est intéressant, c’est que tout au long de l’histoire, Denis essaie, tant bien que mal, de terminer l’écriture de son roman, malgré toutes les péripéties souvent provoquées par son beau-père, et le livre de Philippe Djian vient se mêler au livre de Denis, ce qui fait littéralement tourbillonner le lecteur dans deux récits qui en forment, au final, qu’un seul. Une deuxième et une troisième lecture deviennent alors essentielles.
Bref, ce roman est une œuvre littéraire, non pas pour l’histoire racontée, mais pour toutes les particularités linguistiques qu’il renferme et pour l’art d’écrire de Djian. Chéri-Chéri est un livre pas comme on a l’habitude de lire et nous sort de notre zone de confort.
Chéri-Chéri de Philippe Djian, Éditions Gallimard, 2014, 193 pages, 33,95 $.
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de la rédaction