La bande dessinée «Cher Charles» de Nico Las aux éditions Sabotart – Bible urbaine

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La bande dessinée «Cher Charles» de Nico Las aux éditions Sabotart

La bande dessinée «Cher Charles» de Nico Las aux éditions Sabotart

Drame épistolaire d'un délinquant politique

Publié le 24 octobre 2014 par Marie-Hélène Proulx

Crédit photo : Sabotart

On ne peut pas reprocher à Nico Las, auteur de la bande dessinée dramatique Cher Charles, apologie épistolaire d'un ami prisonnier politique, de se confondre en nuances. À partir d'un retour sur les évènements entourant le G20, les manifestations étudiantes de 2012 et les incarcérations qui les ont suivis, il tente de justifier le recours à la violence pour s'opposer à l'oppression capitaliste. Mais ce cri d'un cœur ainsi mis en image peut-il suffire à nous rallier à sa cause? Rien n'est moins certain.

En pleine cohérence avec son discours, après avoir dessiné à gros traits, sur plus d’une centaine de pages, l’intolérable existence dans un monde d’exploitation et de corruption, Nico Las a mis fin à ses jours, dans sa vie réelle. Par son œuvre autant que par son acte, celui qui parlait de «faire de la philosophie à coup de m’Arteau» fait éclater en mille miettes la vision conventionnelle du vandale politique, apparaissant souvent comme un être impulsif, opportuniste et en quête de sensationnalisme.

Un peu comme, dans les dernières décennies, le lyrisme de rappeurs comme Muzion ou Sans Pression est parvenu à exprimer, avant les sciences sociales, la perte de repères qui a mené des jeunes de Saint-Michel et Montréal-Nord à la criminalité ou à la victimisation, l’illustrateur de Cher Charles offre un accès à une réalité inconnue, à la limite du tabou.

Mais alors que les rappeurs se font un point d’honneur d’alterner drame urbain et autodérision, Nico Las, lui, n’entend visiblement pas à rire. Armé d’une certaine habileté graphique mêlée d’une symbolique naïve, à laquelle se greffent quelques références politiques et philosophiques pertinentes, Nico Las ne laisse pas vraiment l’occasion de s’attarder aux aspects esthétiques. Tout est axé vers le message.

Mais l’engouement pour cette proposition radicale des casseurs, présentée comme ultime solution, ne va pas de soi, et ce, d’autant plus que le héros incarcéré et son protagoniste épistolaire sont loin de nous faire rêver des conquêtes d’un Nelson Mandela ou d’un Che Guevara. Le parcours de ces deux partisans extrémistes du Printemps érable n’est décrit que comme une suite de brutalités policières et d’oppressions sociales sans issues.

Les rares parcelles de joie que recèle la narration paraissent trop intimes, trop furtives et trop fragiles pour être partagées. Elles se butent aussi à l’opposition d’une multitude de «pires ennemis», personnifiés par les organismes humanitaires, les policiers «hypocrites» qui leur ont esquissé un sourire et même les manifestants plus pacifistes qui les entouraient.

Il ne reste donc à Nico Las que peu d’alliés à gagner parmi ses lecteurs. Faute de susciter l’adhésion, sa détresse inspire néanmoins de la compassion pour lui et de l’inquiétude pour ceux qui risqueraient de se laisser séduire par sa cause perdue. Mais cette réaction est sans doute à mille lieues de l’enthousiasme solidaire que l’illustrateur espérait laisser en héritage.

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