LittératureRomans québécois
Crédit photo : Maude Chauvin
Bref, des Histoires à faire rougir à Baiser, Marie Gray est demeurée ce qu’elle est: celle qui refuse le compromis pornographique qui porte à négliger la vie affective des êtres lorsque vient le moment de décrire leur désir. Sauf qu’ici, au supermarché de l’amour, on se retrouve devant beaucoup de promesses et peu d’élus à l’atteinte de la plénitude sentimentale, ce qui donne lieu à un gros sentiment de vide et d’absurdité. Donc, une œuvre philosophique? Pas vraiment: on y reste trop sur le plan de l’humour anecdotique et des réflexions pêle-mêle. L’auteur ne semble pas non plus prétendre à bouleverser l’art littéraire: le langage y demeure cru, sans souci du détail, du mot ou de l’instant parfait. Devant ces scènes répétitives: belles verges, masturbation réciproque, puis caresses orales et pénétration… disons que le fantasme de base ne s’y émousse pas trop dans les fantaisies sensuelles. On ne pourrait même pas parler d’une pièce marquante de la littérature de genre.
Mais c’est cette lourdeur répétitive qui finit par offrir au roman sa force narrative, révélant tout ce désir de se dépasser, à travers le geste qui ne satisfait jamais autant que prévu. Et la grande force du roman est là: on s’y éloigne non seulement du modèle de l’observatrice admirative de l’homme puissant des romans en série à l’eau de rose, mais aussi de celui du «toujours plus, toujours plus intense» qui maintenant teinte la littérature «mommy porn» grand public. L’héroïne de Marie Gray se voudrait lucide et sans pudeur; elle fonce, tâte la matière et en sonde les limites, se confrontant au fait que, quoi que laissent présager les normes actuelles, intensité et profondeur demeurent deux choses bien distinctes. Cette conclusion, dans le contexte actuel, a un côté libérateur… peut-être même davantage qu’un orgasme; et elle est d’autant mieux accueillie qu’elle ne mène pas à une finale trop conformiste. Malgré ce fond nostalgique, c’est quand même dans le rire que l’on y trouve nos principaux moments de jouissance.
Pourtant, dans le présent contexte aussi, les attentes étaient élevées et la porte grande ouverte. Tout semblait disposer aux plaisirs: beaux corps, bon vin, œil vif et impudique… le langage aurait pu s’aventurer beaucoup plus vers la variété des caresses, étalées un peu plus sur le corps, et des sensations qui en résultent. Cela aurait été une jolie leçon à envoyer aux audacieuses lectrices, dans la découverte de leurs propres plaisirs. Quel dommage que Gray n’ait pas trouvé l’occasion de s’y lancer davantage! Mais patience… il ne s’agit que du premier tome de ce qui doit devenir une série de deux et peut-être même une trilogie. La sensualité de ses héroïnes trouvera peut-être l’occasion de réajuster son tir d’ici le dénouement du dernier tome.
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de la rédaction