Littérature
Crédit photo : Patrick Jetté
Perplexe et mélancolique, j’étais assise au bout de ma table de cuisine en finissant une quatrième toast au beurre d’arachides (se creuser les méninges me creuse l’appétit). Depuis mon entrée à l’université – le top de la pyramide scolaire – je me pose des questions sur mes goûts et aspirations, avec des graines de pain brun au bord des lèvres. J’ai donc enclenché un processus de réflexion profonde et quelque chose m’a frappé. Cela m’a plus que frappé: une cloche a sonné. Une alarme d’incendie s’est déclenchée (mes rôties n’en sont pas la cause). La honte s’écrivait en Caps Lock dans ma tête.
Je venais de me trouver un problème.
Ce n’était pas une maladie (les recherches Google ne m’affichaient rien d’anormal). Ce n’était pas une défiance mentale non plus. Ouf.
Je venais de me l’avouer devant cet amont (décourageant) de lectures que je devais faire pour mon cours de sociologie du lendemain. J’éprouvais une peine immense. Comme si je ne pourrai jamais joindre la clique des populaires de la cour de récré. Comme si je devais m’autoclasser dans une catégorie de gens qui refusaient de s’instruire et d’épanouir leur imaginaire. Je voulais tellement m’enrichir avec ces Michel Tremblay, Marie Laberge et d’autres œuvres que j’avais achetées un dimanche matin, mais…
Je n’aime pas lire.
Voilà.
C’est dit.
Lire est une tâche pour moi. Je la fuis. Chez moi, c’est une règle non écrite (et tant mieux, je ne l’aurais pas lue). L’expression «Dans mon livre à moi» ne fait pas partie de mes patois. Lorsque j’étais toute petite, le film Le Livre de la Jungle de Disney n’était définitivement pas mon métrage préféré. J’ai seulement lu «Madame Bonheur» et «Monsieur Rêve» (les plus petits livres illustrés qu’il soit) au cours de mon primaire. Je lisais des Spirous, des Titeuf et me suis rapidement débarrassée de cette activité. Au secondaire, j’avais l’impression de ne pas décrocher de ma 6e année en traînant mon Kid Paddle fétiche. Par contre, je n’avais pas envisagé que cette «inactivité littéraire» ferait partie de mon quotidien encore aujourd’hui. Il fallait que je change la donne.
Toute prise de conscience vient avec des solutions.
J’ai donc songé à des solutions.
Comment apprendre à lire lorsqu’on sait déjà lire? Est-il trop tard pour aimer la lecture? Plusieurs questions tourbillonnaient dans ma tête et la honte accentuait leur cadence. Maintenant habituées à l’instantanéité et aux textes courts, lire un roman est un exercice aux antipodes des lectures quotidiennes des dernières générations. On se lasse du contenu et préfère aller «aimer» la page Facebook du livre après une bonne lecture diagonale de 3 pages et demie.
Tout cela dans le but de montrer que nous sommes «cultivés».
Une fois par jour
Lire un chapitre (ou plusieurs) une fois par jour. Tous les jours. Il ne suffit que de prendre une habitude pour enfin arriver à nos buts. Apprendre à lire est similaire à un processus de mise en forme. Sauf que la machine à poids lourd s’avère à être le livre de 600 pages que l’on tient entre les mains. Nul besoin de muscler ses biceps, il faut que le roman muscle notre savoir et exerce notre compréhension rapide.
Au lieu de manger trois fois par jour, il faut savourer le livre comme un quatrième repas. Lire doit rester un besoin vital pour la santé mentale. Je qualifierais l’absence de lecture profonde quotidienne par l’expression «anorexie littéraire», qui se cultive par un recours excessif aux réseaux sociaux pour la lecture. Lire un livre vient rapidement saturer les cerveaux plus susceptibles d’apprécier les textes short and sweet.
Il faut aimer lire.
Lire n’est pas seulement l’acte de poser le regard sur des mots: c’est une activité stimulante qui n’implique aucun effort physique. Être attrapé par les méchants puis se faire libérer par un héros sans le moindre essoufflement. Ne pas réellement vivre une peine d’amour, mais pleurer parce qu’on partage les mêmes sentiments. Être dans une bataille sans en ressortir blessé ou mort. Vivre au rythme d’une époque qu’aucun individu n’aura la chance de s’y retrouver. Je me suis donc mise à lire.
Lire de plus en plus. Étape par étape. Parce qu’il faut parfois combattre le mal par le mal.
Surtout lorsque c’est un mal pour un bien.