«Annabel» de Kathleen Winter: l’hermaphrodisme au XXe siècle – Bible urbaine

Littérature

«Annabel» de Kathleen Winter: l’hermaphrodisme au XXe siècle

«Annabel» de Kathleen Winter: l’hermaphrodisme au XXe siècle

Publié le 24 juillet 2012 par Éric Dumais

Couronné meilleur livre de l’année par Amazon.ca et le Globe and Mail, en plus d’avoir été finaliste pour le prix The Scotiabank Giller Prize, le Prix du Gouverneur général et le Prix Orange du Livre, le roman Annabel a reçu un accueil plus que favorable aux yeux du public. Dans ce récit réaliste à teneur familiale et sociétal, l’écrivaine montréalaise Kathleen Winter s’attaque à un sujet de taille: l’hermaphrodisme.

En mai 1968, dans la calme région du Labrador, surnommée «le grand territoire», naît un enfant hermaphrodite dénommé Wayne. Dans ce village côtier où les hommes travaillent durs sur leurs lignes de trappe, voilà qu’une famille sans histoire donne naissance à un enfant hermaphrodite. Est-ce un garçon? Ou une fille? À la suite d’un examen médical approfondi, où la longueur du pénis aura eu foi de tous doutes possibles, Jacinta, la mère de Wayne, accepte bien malgré elle le sexe masculin de son enfant, d’autant plus que c’était là le désir de Treadway, le père, d’avoir un fils avec lequel il pourrait travailler du matin au soir. Mais, plus les années passent, et plus la personnalité féminine de Wayne tente de ressortir par moult moyens. Pourtant, Wayne n’a pas réellement conscience que son corps est différent de celui des autres. Parfois, il s’imagine vêtu d’un maillot de bain doré et brillant, comme celui de la nageuse professionnelle Elizaveta Kirilovna, alors qu’à d’autres moments il se plaît à décorer sa petite cabane dans les bois, avec des lumières de Noël et de vieux rideaux de sa mère. Et que dire de ses petits seins qui pointent à travers ses chandails? Wayne est-il conscient que son corps porte les marques d’un corps masculin et féminin à la fois?

Histoire trouble et sobre, partagée entre le quotidien frisquet de Jacinta et Treadway, dont le couple semble s’être éloigné à jamais, Annabel est un récit troublant qui met de l’avant l’existence d’un enfant fragile et déshumanisé sur un fond rural et reculé de la civilisation humaine. L’hermaphrodisme est un sujet rarement exploité en littérature et Kathleen Winter, l’a épuisé avec doigté en privilégiant l’aspect humain du sujet et le fondement même de la société, un peu comme l’a démontré Xavier Dolan avec le travestissement et la modernité dans Laurence Anyways, son troisième long-métrage. Fort d’une plume imagée et efficace, ce récit, exempt d’action et de grandes péripéties, gagne en respect uniquement grâce à l’écriture exemplaire et poétique de son auteure. Les amoureux de littérature québécoise réaliste qui admirent le travail de la romancière Marie Laberge croqueront à coups sûr dans cette histoire cruellement touchante d’un enfant pas comme les autres.

Appréciation: ****

Crédit photo: Éditions du Boréal

Écrit par: Éric Dumais

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